Back from... Dà Licença
Le beau, le bien, le vrai !
« Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve une réalité ! ». Que la prophétie d’Antoine de Saint-Exupéry me parait ici faire sens pour l’ex-antiquaire de renom redevenu anonyme au pays de son compagnon. En choisissant, il y a quelques mois, d’ouvrir Dà Licença littéralement « à votre gré » en portugais, Franck Laigneau et Victor Borges ont indiscutablement donné à leur quotidien l’infinie couleur du rêve.
La grisaille parisienne a cédé la place à l’azur de l’Alentejo, ses rues encombrées au silence de la plaine, ses véhicules en autant d’oliviers et de chênes lièges. Ils ne sont pas moins de dix milles sur la centaine d’hectares de cette ancienne propriété oléicole autrefois tenue par les sœurs à leur tenir désormais compagnie dans ce projet qu’on ne saurait qualifier d’hôtelier tant cela pourrait sembler réducteur.
Tout, jusque dans cette lande granitique où les monolithes affleurent comme d’étranges sculptures, semble dire qu’il y a bien plus à voir ici qu’un simple hôtel. Il est plutôt question d’admirer et de saluer l’œuvre d’un esprit curieux et ouvert mais avant tout passionné pour ne pas dire intrépide. Le collectionneur-défricheur de génie, autrefois habitué des trapèzes et des divans, n’a jamais craint la prise de risque ni manqué de discernement. Épaulé dans sa nouvelle activité par l’ancien directeur de la soie chez Hermès, il offre ici encore sa vision idiosyncrasique d’un monde où Homme, Nature et Cosmos font le pari de se réunir dans une trilogie à l’acuité toute contemporaine. À l’instar de la Villa La Coste de Paddy McKillen, du Domaine des Etangs de Garance Primat, des Fife Arms et Durslade des Wirth, de l’Arlatan de Maja Hoffmann, cet hôtel se pose comme un refus de la banalité, un lieu à habiter provisoirement comme dans un songe où l’art joue en quelque sorte le maître d’hôtel.
Dans cette bulle artistique, à la fois refuge personnel et thébaïde ouverte au monde, les trônes comme les assises plus rustiques voisinent en ayant en commun au-delà de leurs qualités artistiques et techniques évidentes une émotion commune. Le Palais de ce Facteur Cheval des temps modernes, érudit défenseur de l’Art Nouveau, captateur des échos de ce mouvement jusque dans les contrées les plus reculées du Nord, est un manifeste du "Gesamtkunstwerk" qui de la Sécession Viennoise aux Arts & Crafts en passant par le Bauhaus ont cherché à revaloriser les arts décoratifs, réintroduire la vocation décorative de la peinture ou la polyvalence de la création jusqu’à envisager l’objet d’art comme utilitaire pour former une esthétique globale. Fervents admirateurs du Norskestil ou du Draskstil dont le nationalisme romantique ne revendiquait rien d’autre que l’attachement à la terre, à ses ressources et à son artisanat, Victor et Franck caressent eux aussi l’espoir heureux d’un monde meilleur où la beauté serait offerte au plus grand nombre. Sorte de palais aussi simple qu’idéal dans un « Paìs ideal », Dà Licença, a fortement à voir avec le mythique Goetheanum de Rudolf Steiner. L’hygiéniste et chantre de l’anthroposophie dont le mobilier règne ici en maître s’émerveillerait sans doute devant cette bâtisse dont l’architecture interroge autant son pensionnaire qu’elle questionne un paysage sidérant en proie aux éléments sur 360 degrés. Conçu comme une réplique miniature des villages blancs et environnants, ce nid d’aigle aux allures de forteresse contemporaine se veut une œuvre d’art à part entière dont les normes lui seraient propres. Si les anthroposophes disposaient de leur propre cosmologie, de leur propre agriculture ou de leur propre pédagogie, de leur propre idéologie politique comme de leur propre vision de la santé, ces deux-là livrent ici leur propre définition de l’hospitalité. Refuge spatio-temporel, galerie d’art, maison ou hôtel, Dà Licença est un peu, voire beaucoup tout cela, un lieu de vie comme une expérience en soi, à la fois sublime, invraisemblable et bouleversant.
Modigliani aimait à dire : « Toute grande œuvre d’art doit être considérée comme un travail de la nature, d’abord du point de vue de sa réalité esthétique et pas seulement de son développement et de la maitrise de sa création mais du point de vue de ce qui a ému et agité son créateur. » Partant de ce principe, que l’on adhère ou non à ses principes esthétiques, il paraît dès lors difficile de ne pas succomber à Dà Licença. Si le chef d’œuvre de J.K Huysmans, « À Rebours » se concentrait sur les goûts d’un esthète aussi excentrique que désespéré, Dà Licença révèle au contraire un goût immodéré pour une nouvelle humanité plus proche de la nature.
La campagne environnante se laisse ainsi admirer de toutes parts, à travers de très larges ouvertures, de surprenants oculi ou d’innombrables terrasses dont certaines abritées par d’imposantes cloisons de marbre comme dans les chambres Moon et Sky Cubes faisant face à la piscine principale aux allures d’abreuvoir pour un bétail imaginaire ou de miroir interpellant les astres. Ce bassin orbiculaire entouré d’agrumes croulant sous le poids de leurs fruits mûrs formant autant de trésors disséminés dans la blancheur éblouissante de gravillons marmoréens n’est pas le seul point d’eau du domaine puisque, en plus de ceux privatifs des suites bien nommées My Pool et Sky pool, un ancien lavoir s’est mué en bassin d’agrément aux abords de la terrasse tandis qu’un couloir de nage futuriste aux eaux célestes bientôt réservé à l’exclusivité d’une toute nouvelle suite en duplex s’amuse à tutoyer l’horizon.
Les trois chambres et bientôt cinq Suites de Dà Licença sont autant d’invitations à faire le lien entre nature et culture. Agrémentées d’objets usuels ou de pièces de mobilier plus rares allant de la fin du 19ème siècle au milieu du vingtième, le plus souvent taillé à la gouge comme chez Franz Xaver Sproll, rafraichies de sols de granit striés anthracite ou de parois de marbre veiné de rose d’Estremoz, dotées parfois de baignoires taillées d’un seul bloc, ces « cellules » méditatives aux généreuses proportions, profondément oniriques et totalement uniques en leur genre interpellent autant qu’elles séduisent. Difficile de donner sa préférence pour l’une ou l’autre. Si la palette poudrée de The Brazier et sa situation à la poupe du domaine face au soleil levant lui donne une couleur très particulière, les Moon et Sky Cubes offertes au couchant et à proximité immédiate de la bâtisse principale ne sont pas dénuées de charme. Si les 180m2 de the Rock avec son spectaculaire salon de bains, ses influences wabi et marrakchi attirent inévitablement, the Loft avec ses trois espaces ouverts sur la campagne ne manque pas d’attraits. Mais tant qu’à faire, on leur préférera peut-être l’une des deux Pool Suites pour leurs bassins de marbre privatifs à moins que la cinquième et dernière suite dont le nom n’a pas encore été dévoilé ne finisse par rallier tous les suffrages. En dépit d’une piscine et d’une terrasse pour le moins exceptionnelles mais peu privatives, sa situation aux avants postes du paysage et du rêve en feront sans doute une vigie remarquable.
Contrairement à Sao Lourenço do Barrocal ou d’autres pourfendeurs de cet Alentejo retrouvé à l’instar de L’And Vineyards, Villa Extramuros ou Casa No Tempo entre autres, Dà Licença n’a pas encore trouvé toute son opérationnalité. Mais même si le restaurant promis pour le printemps, au cœur de la galerie sise dans l’ancien pressoir, n’a pas encore ouvert ses portes, la cuisine faussement improvisée de Victor comme les petits déjeuners impeccables servis par Franck lui-même font pourtant déjà mouche. Le futur des lieux reste certes encore à écrire mais la promesse de lendemains aussi merveilleux qu’inédits est bel et bien là. L’utopie n’étant après tout qu’une réalité en puissance, il me tarde, comme à mes premiers clients, de confirmer aux beaux jours la véracité de cette prédiction et d’affirmer qu'une fois de plus, avec pareil lieu, le beau, le bien et le vrai ont un vertueux lien de cause à effet.
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 300€/nuit | Petit déjeuner inclus | min. 2 nuits
accueil personnalisé