Back from… Hôtel Les Roches Rouges
On dirait le Sud !
Nos parents aimaient à prendre la route et idéalement la faire de nuit, d’une traite, à la fraiche, les leurs lui préféraient le train et le confort des couchettes. Dans les deux cas, il y avait à l’arrivée matinale, l’assurance du soleil se levant sur la mer et la promesse des vacances, de ces congés payés tant attendus. Forcément, au bout du chemin était le Sud, quoi d’autre que le Sud pour s’assortir à cette idée de vacance, quoi d’autre que l’azur du ciel et de la mer, du sable et des rochers selon l’endroit de cette côte d’azur justement où l’on posait ses valises d’une année sur l’autre pour servir de trait d’union dans l’année.
Cette belle histoire, comme la chantait Fugain, a trouvé le mois dernier un nouvel écho et une étape inédite du côté de Saint Raphaël. Comme on le pressentait fortement, invitant avec insistance ici chacun à réserver toutes affaires cessantes les premiers séjours généreusement sponsorisés par Design Hotels™ auquel est affilié l’hôtel, Les Roches Rouges se sont avérées être à la hauteur de nos espérances confirmant que nous tenions là pour le moins l’ouverture de l’année en France. Certes, nous ne sommes pas à Nice, Cannes et encore moins à St Tropez, aucune navette n’ayant pour l’instant été prévue pour gagner l’un ou l’autre. Evidemment, à bien y réfléchir, que n’aurait-on pas rêvé que pareille aventure ne se joue du côté de ces ports jugés incontournables. Eût-il fallu trouver pour cela pareil paquebot à l’abandon et plus encore situation aussi spectaculaire que celle-ci avec la grande bleue pour seul panorama ! D’aucuns pourront toujours arguer que la voie ferrée et la route qui bordent de très près les lieux auraient dû tenir pour fin de non-recevoir.
Cela est sans doute vrai pour quelques chambres avec terrasses postées à l’entrée mais la quasi-totalité des 50 chambres et suites de ce vaisseau blanc ont bien la mer bleue pour seule ligne de mire et le rythme de l’eau ou de la lumière comme seul métronome de la journée. Aussi joli soit le jardin en pente imaginé par Stan Alaguillaume, il ne viendrait pas à l’idée de se choisir d’autre vue que cette Méditerranée avec ses îles d'or ensoleillées et ses rivages sans nuage au ciel enchanté que chantait Tino Rossi. L’Ile d’Or, la vraie, qui inspira Tintin en son temps la transformant en Ile Noire maléfique, fait d’ailleurs office de point de repère comme d’aimant aux yachts et voiliers croisant en ses eaux réputées idéales pour la plongée.
C’est dans cet endroit aussi surprenant qu’unique, autant sur la Côte qu’en France, que Valéry Grégo a décidé, après avoir cédé son joli projet parisien le Pigalle et avant d’inaugurer son très ambitieux Hôtel du Couvent à Nice, d’installer le cinquième et non moins ambitieux hôtel de sa compagnie singulière des Hôtels d’En Haut. Il fallait un certain aplomb pour acquérir les murs de cet ancien hôtel trois étoiles, parfait exemple de ce que nous considérions il y a encore peu comme un sacrilège sur ce front de mer, et un talent certain, celui de Festen, pour s’en réapproprier l’architecture on ne peut plus années 50. Composé du duo à la ville comme à la scène des hyper-talentueux Hugo Sauzay et Charlotte de Tonnac, le jeune cabinet d’architecture vient de décrocher avec cette réalisation son passeport pour rentrer dans la cour des très grands. Il va falloir s’attendre, et qui pour s’en plaindre, à les voir essaimer leur style inclassable, parce qu’ancré dans la vraie vie, dans le monde entier car le talent, comme on le sait, ne connaît pas de frontières. Avec la collaboration du studio Be-Pôles d’Antoine Ricardou, infatigable et génial inspirateur des temps modernes, ils ont réussi à recréer cette idée de bord de mer que nous avions encore dans un coin de notre tête. Si le bleu de la Méditerranée, le rouge des roches d’Agay ou l’ocre de l’Estérel ont composé la palette comme la source d’inspiration de ce collectif d’artistes d’aujourd’hui, l’audacieux bâtiment volontiers brutaliste leur a, une fois évidé, laissé carte blanche pour exprimer librement leur penchant néo-bohème et leur amour du vintage aussi bien dans les parties communes que dans les chambres inondées de lumière. Antoine a lui-même œuvré offrant quelques clichés de ses vacances en famille tirés dans les grandes largeurs et montés en caisse américaine en guise de têtes de lits ou réduites sous forme de polaroids comme pour mieux en condenser le souvenir, agencés au chevet en série de deux ou trois comme de délicats haikus à contempler avant de s’endormir.
Piqués d’une aiguille de nickel dans des murs essuyés de blanc ou attachés par un trombone avec le programme du lendemain annonçant tout à tour yoga, piscine, plongée, concert acoustique, cinéma, découverte de l’Estérel ou simplefarniente, ces clins d’œil au temps béni des vacances ravivent les souvenirs de l’enfance, de ce temps où l’on savait vivre quand on glissait des sous-bocks en carton sous ses verres ou des marques pages dans ses livres de peur de venir gâter quoique ce soit. Les cachets de la poste à l’encre rouge, ici assortie à la couleur des Négroni déjà embouteillés scellés à la cire et disposés sur les plateaux d’osier du bar, faisant office de logotype comme de fil rouge à tous les Hôtels d’En haut, nous rappellent aussi cette époque où l’écriture avait encore sa place. Cartes postales et enveloppes n’attendent que d’être expédiées au même titre que les Instagram qu’il s’avère impossible de ne pas poster séance tenante tant la photogénie ou la cinégénie de ces Roches Rouges se fait criante. Diane Kurys aurait-elle préféré aujourd’hui ce coin de St Raphaël à la Baule pour servir de cadre à son film générationnel ? Nul le sait, mais il y a ici quelque chose d’universel, une sorte de miroir du temps comme souvent teinté de nostalgie et épris de modernité. Plans larges ou serrés, vues panoramiques et détails infinis y régalent les yeux autant qu’ils réjouissent les sens. J’ai beau pousser des dizaines et dizaines de portes de chambres d’hôtels par an, rarement je me serais autant extasié sur l’intelligence du propos ayant cours ici. Comme dans une sorte de jeu de pistes, chaque ouverture de placard ou de tiroir, chaque regard posé n’a pas pour seul constat des finitions pour le moins impeccables, il se délecte aussi de chaque idée qui, osons l’espérer, donnera quelques complexes à nombre d’hôteliers.
Car aux Roches Rouges tout se veut aussi narratif qu'évident, les fleurs ne sont pas à la demande et encore moins fraiches, elles ont été cueillies, pour chaque chambre sans exception, à travers champs ou sur la roche dans le massif derrière, séchées avec soin pour former d’opulents bouquets dans des vases de terre cuite tournés à la main, les œuvres encadrées, punaisées ou pochées à même les murs dégagés de télévisions, n’appartiennent à aucune série et ne dépeignent rien d’autre que ce qui fait la joie des vacances en bord de mer, l'eau se sert en carafe et verres idoines aux reflets aigue-marine, la sélection de beaux livres en chambre s’assortit à la carte Michelin ou à la brochure maison vantant comme son nom l’indique les cinq étapes reliant désormais ces Hôtels d’En haut dont la maxime « Rêvez, réservez, revenez » n‘a jamais autant fait sens qu’aujourd’hui. Leur propriétaire et fondateur ne s’en cache pas, il ne propose pas que sa vision de l’hôtellerie, il offre aussi un point de vue sur la vie pour le moins intéressant. Comme dans chacun de ses projets, il a entrepris de faire revivre un lieu unique et de l’ancrer dans son temps, en lui offrant cette modernité qu’on a longtemps crue cantonnée aux grandes villes, que la montagne dont il est originaire ou la mer se refusaient à entrevoir jusqu’à il y a peu encore. Évidemment, la recette n’est pas si nouvelle que cela et déjà vue du côté des cuisines par exemple où « La cuisine provençale de tradition populaire » du poète René Jouveau a servi d’inspiration aux cartes des deux restaurants qui jouent pour l’un la convivialité et pour l’autre une plus grande créativité (malheureusement immanquablement pris d’assaut entre inévitables privatisations et clientèle extérieure bienheureuse de retrouver enfin un lieu où sortir). Comme de bien entendu, le chef José Bailly a sourcé le meilleur de sa région auprès de maraichers, fromagers et poissonniers qui lui livrent chaque jour produits de la mer et du jardin. Les vins jouent bien évidemment à l’unisson la carte du naturel et du local. Mais qu’attendrions-nous d’autre qu’un rosé de Provence noyé dans la glace et en l’occurrence l’excellente cuvée de Château La Coste, pour accompagner salades d’été, légumes ensoleillées et desserts tropéziens ? Un meilleur rapport qualité-prix sans doute et un service un peu plus tonique qui manquaient encore dans les premiers jours.
Mais que l’on se rassure, derrière ces trois initiales, HRR, il y a bien tout ce qu’on attend et plus encore. Les parasols blancs qui claquent au vent, les bâches ocres qui dessinent des ombres sur les façades immaculées et écrasées par le soleil, le mobilier de rotin ou de fer forgé garnis de coussins du même jus et qui ne laissent plus de marques disgracieuses, les paniers d’osier remplis de plaids tout doux ou de chapeaux de paille pour les avis de vent frais ou de coup de chaud, les tartes au citron de Menton dont on veut s’empiffrer autant que s’enivrer du bruit des vagues et du vent, l’eau de mer et l’eau douce dont on passe en courant d’une piscine à l’autre en laissant des traces sur la terrasse en incertum rose que le soleil aura tôt fait d’effacer, le ponton pour s’élancer dans les flots bleu marine qui rappellent les carrelages des salles de bains où l’on laisse couler l’eau pour se frictionner à longueur de journée de gel douche concocté par Le Labo et embaumant la bergamote, les paddles endormis sur le chemin de terre rouge qu’on réveillent pour une dernière balade au coucher du soleil, les parties de pétanque à l’heure bleue un Rinquinquin, un Pastis, ou un vin d'orange à la main, la dernière partie de cartes sous la lune, la rêverie face à ses reflets d’argent sur la mer et pourquoi pas la danse sous les lampions jusqu’au petit jour qu’on s’est promis d’esquisser l’année prochaine au son de la guitare. Bref, on veut cette place au soleil, ce kaléidoscope de couleurs, ce cocktail de saveurs et de senteurs, ces images qui vous traversent trop vite et qui feront les souvenirs de demain, croquer la vie à pleines dents et éprouver encore ce sentiment de liberté et de légèreté qui s’offre ici mieux qu’ailleurs. Oui, Valéry Grégo, on veut encore rêver, réserver et revenir chez vous…
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 128€/nuit