Back from… 700.000 Heures Salento

Il est temps !

Cet homme est fou ! On le savait déjà un peu me direz-vous. Cela fait quinze ans qu’il n’a de cesse de casser les codes de l’hôtellerie, plus sensible à ce mot d’hospitalité qui me tient tout autant à cœur. Nous ne sommes pas qu’amis et co-auteurs du livre « Maison des Rêves » qui retrace ses précédentes aventures à travers le globe. Comme je le rappelais à un couple de ses hôtes la semaine dernière, Thierry Teyssier est un mentor. Avec lui, rien ne paraît impossible. Il a ce don incroyable de donner aux rêves la couleur de la réalité. Magicien ? Sans doute ! Dénicher les lieux les plus incroyables, imaginer les mises en scène les plus exclusives furent successivement son dada d’homme de théâtre et d’évènements. Cela reste bien évidemment et plus que jamais le sel de son aventure hôtelière mais ce qui lui importe le plus, aujourd’hui, c’est d’accrocher des sourires sur les visages de ses convives, aussi ébahis qu’ébaudis par ce qu’il leur donne à voir ici, au Salento, pour la première salve de 700.000 Heures. Je ne reviendrai pas sur les tenants et aboutissants de ce premier concept d’hôtel itinérant que je vous avais déjà présenté ici en exclusivité ni sur les modalités d’inscription à ce club très privilégié des Amazirs.

Ceci étant, deux choses me semblent importantes à rappeler. Sans vouloir tirer une quelconque sonnette d’alarme, nous ne disposons chacun en moyenne que de 700.000 heures sur cette terre. Il paraît donc plus que judicieux de ne pas en perdre une seule, surtout quand elles se parent d’aussi belles et précieuses couleurs que celles-ci qui sont offertes ici. Enfin, la terminologie réductrice de l’hôtel, comme établissement physique avec toit, portes et fenêtres, ne saurait trouver dans le Salento, au Cambodge ou dans les Lençóis, les futurs territoires d’exploration déjà connus de 700.000 Heures, un quelconque écho. Le concept imaginé par Thierry Teyssier n’a, à ce jour, aucun équivalent car il n’obéit à rien de connu.

« Nous ne disposons chacun en moyenne que de 700.000 heures sur cette terre. Il paraît donc plus que judicieux de ne pas en perdre une seule »

Foncièrement nomade, totalement déraisonnable et anticonformiste, merveilleusement désirable et jamais semblable, ce projet qui vient de se confronter à la réalité et ce jusqu’au 5 novembre prochain dans le talon de la botte italienne se veut unique. Il faut tout simplement le vivre pour le croire. Ceux qui me suivent et me font confiance savent qu’il n’y a là aucun parti pris ni aucune complaisance à avancer pareil argument. J’invite tous les St Thomas, tant qu’il est temps ici ou plus tard ailleurs, dans ce monde que Thierry Teyssier a décidé d'enchanter à sa manière, à venir faire l’expérience du merveilleux.

« J’invite tous les St Thomas, tant qu’il est temps ici (...) à venir faire l’expérience du merveilleux »

Le merveilleux commence, à Cagliano del Capo, avec le palais, ode à l’histoire comme à l’avant-garde de l’art et partenaire de la Villa Médicis, servant de cadre à l’aventure. En investissant le Palazzo Daniele de Francesco Petrucci, rénové pour l’occasion par Ludovica Serafini et Roberto Palomba de l’agence éponyme, l’homme aux semelles de vent a pourtant pris le pari en guise de démarrage d’un retour à un certain académisme. Mais, volontairement laissé à l’épure, éclairé par son rustique et théâtral patio, enluminé par ses plafonds sophistiqués, étourdi par son salon aux miroirs, le lieu n’a rien d’anodin. Il y a bien là un toit et des fenêtres mais pas plus de clés aux portes que de coffre forts ou de télévision dans ses 6 chambres aux allures monacales, fidèle à cet esprit voulu à Dar Ahlam il y a quinze ans de cela. Le mobilier réduit à l’essentiel et rehaussé d’œuvres d’anciens artistes résidents laisse parler l’espace. Il sert, à l’instar du palais tout entier, de cadre aussi simple qu’éblouissant à des expériences ayant pour point commun le sens du partage, de la découverte et du nomadisme. Car même au sein de ce lieu monumental et à l’atmosphère délicieusement visconsienne, chaque invité dispose d’une attention qui lui est propre. Comme ce qui se joue à l’extérieur, il n’existe ni horaire ni lieu fixe pour les repas, pas plus de table ou d’assise déterminées. Les citronniers pour un déjeuner à l’ombre, la cour d’honneur pour un diner aux lampions, le petit salon pour un tête-à-tête ou un diner de gala, la piscine pour un goûter ou un dernier alcool, tout sans exception se réinvente au gré de la météo, de l’humeur et bien sûr se veut inclus dans les 1.500€ demandés non pas par personne ou par nuit mais bien par jour et pour deux. Séjourner avec 700.000 Heures ne se résume pas à faire le choix d’une simple chambre, d’un seul lieu ou bien encore d’une expérience réservée sur catalogue. L’éventail des possibles se révèle une nouvelle fois quasi infini.

« Séjourner avec 700.000 Heures ne se résume pas à faire le choix d’une simple chambre, d’un seul lieu ou bien encore d’une expérience réservée sur catalogue. »

Pour cela et pour servir les futures destinations qui pourront fonctionner sur un système d’itinérance à l’image de son inoubliable Route du Sud, Thierry Teyssier a fait réaliser non pas une, trois ou dix malles mais plus d’une centaine. Il peut ainsi au gré de sa fantaisie et du besoin déployer des canapés ou un lit de repos, une cuisine toute équipée, voire des toilettes de campagne en tout temps, tout lieu et toute heure afin de renouer avec cette idée absolue du voyage faite d’éphémère, de surprise et qu’on le veuille ou non de confort. J’aime pour ma part à répéter qu’il n’est nullement besoin de souffrir ou d’avoir un sac à dos sur l’épaule pour prétendre découvrir un pays ou une culture. Certains pensent que pour admirer un coucher de soleil, rien ne vaut d’être assis à même la roche. Soit. Moi, je persiste à dire que découvrir en aplomb de la mer, après quelques minutes de marche entre les rochers, une série de malles en cuir déployées pour faire salon face au flots rougeoyants bientôt ponctués d’une barque de pêcheur dans l’alignement du soleil n’a pas de prix d’autant que ce soir, c’est Bruce tout sourire qui se charge de servir l’apéritif littéralement « on the rocks ».

« Ce genre de moments aussi uniques que privilégiés, il n’y en a pas un mais plusieurs, chaque jour et pour chacun des hôtes du palais »

Ce genre de moments aussi uniques que privilégiés, il n’y en a pas un mais plusieurs, chaque jour et pour chacun des hôtes du palais, sans qu'il soit nécessaire de débourser un centime supplémentaire. Jamais auparavant, dans ce bourg écrasé par le soleil, sur la place duquel se joue encore ce manège enchanté de la vie italienne où chacun se hèle à tour de bras et à force de moulinets « tipiche », où les terrasses se font immanquables pour un pasticciotto accompagné d’un café leccese négociés pour une pièce de monnaie, le Palazzo Dianele n’aura connu aussi fébrile activité. L’austère silhouette aux volets verts et à la porte couleur du ciel ne cesse désormais de s’ouvrir sur un ballet de triporteurs remplis de malles sous l’œil médusé des passants. Sans que la vie du palais ne soit le moins du monde perturbée par ces allées et venues, dans un silence d’or, les décors des mises en scène se succèdent et se croisent à un rythme soutenu. Qui va partir, pour où et pour quoi ? Chacun y va de sa conjecture, espère que ce soit lui d’abord mais il sait qu’il y en aura pour tout le monde. Alors, quand il croise un autre des hôtes. Le membre du club des Amazirs prend un air entendu ou un brin téméraire s’enquiert alors de savoir ce que l’autre a déjà fait et que lui n’aurait pas encore vécu.

« Jamais auparavant, dans ce bourg écrasé par le soleil, sur la place duquel se joue encore ce manège enchanté de la vie italienne (...) le Palazzo Dianele n’aura connu aussi fébrile activité »

Aura-t-il le plaisir lui aussi de conduire, comme tous ces ex-patrons du CAC 40 venus incognito se faire surprendre le temps de quelques jours, ces Fiat 500 aux couleurs acidulées garées le long de l’avenue principale. Il fallait les voir eux, certainement blasés et revenus de tout, s’amuser comme des enfants en rejouant les apprentis-pilotes. Lui aussi pourra-t-il changer son rapport au temps et au monde avec ce mode de transport si adapté à la taille des villages "Pugliese", à leurs ruelles de pierre polies par les eaux et le soleil ? Visitera-t-il leurs églises baroques et se risquera-t-il à descendre dans l’un de leurs « frantorio » pour déguster l’huile d’olive à moins qu’il ne soit invité sur le bateau bleu par Giuseppe qui s’en ira pêcher les oursins pour lui ? Il enjambera peut-être, comme quand il était adolescent et qu’il se frottait au danger, la voie ferrée rendue à la noirceur de la nuit pour embarquer dans ce wagon en forme d’œuvre d’art et diner au son de la tarentelle ? À moins qu’on lui réserve plutôt l’incroyable diner sous les « luminaria », ces installations colorées qui font la joie des nuits italiennes ? Il n’en sait rien encore, pas plus que Thierry et sa bande de magiciens venus des quatre coins du monde.

« Changer de posture s’impose. À un moment ou à un autre, ne sommes nous pas tous migrants dans nos vies respectives ? »

Tout se jouera peut-être plus tard, autour de la table de cette cuisine où chacun aime à passer pour tenter de soulever un coin du voile ou d’en apprendre un peu plus sur ces migrants venus d’Afrique et qui illuminent de leurs sourires et de leur volonté chacun de ces moments passés sous le soleil de l’Italie. Il ne cesse de s’étonner de les voir manier le français, l’anglais ou l’italien comme les couverts en argent qu’ils touchent pour la première fois. Aguerris et formés à l’issue de ces deux mois, ils s’en iront, si le cœur leur en dit, servir à la Fiermontina ou au Palazzo Bozzi di Corso de l’amie Yasmina, présidente également de l’association Migrants du Monde. Il sait que sa présence aura autant aidés ces déracinés que lui à voir la vie sous un autre angle. Changer de posture s'impose. À un moment ou à un autre, ne sommes nous pas tous migrants dans nos vies respectives ? Aujourd'hui, il se sent ouvert à d’autres cultures et d’autres expériences. D'ailleurs, il se lèvera peut-être demain pour la cérémonie du thé auquel l’initiera Kiki. Il s’essayera même après cela au yoga ou à l’Ikebana toujours en sa compagnie, qui sait ? Il est encore trop tôt pour décider. Pour l’heure, il peut enfourcher l’un des Vespa mis à disposition et descendre en catimini à la plage tandis que d’autres lézardent au bord de cette piscine aux reflets sombres et bordée de cactus et qu’un groupe s’affaire, avec Giuseppina, à la fabrication des pâtes sur la longue table de pierre de la cour. Le palais est si vaste qu’il faut tendre l’oreille pour entendre leurs fous rires. Ailleurs dans l’ombre de la maison, on s’affaire en douce, on sélectionne dans l’office la vaisselle et le linge qui vont servir aux futures mises en scène. Il ne sait pas que ce soir Thierry a déjà décidé qu’il officierait et qu’il serait aux fourneaux de sa cuisine mobile, que ce matin une équipe menée par Angelo s’était déjà attelée à transformer un champ d’oliviers millénaires et des ruines de paillard en palais de fortune, que des dizaines d’allers retours auront été nécessaires pour lui réserver à lui et son épouse cette surprise qui viendra clôturer sa journée d’anniversaire. Il ne sait pas plus qu’après demain, il ira avec Rosa Vanina Pavone, la chef au cœur d’or et aux mains d’argent, embarquée par Thierry pour les deux mois de cette aventure hors norme, dans le champ d’à côté déjeuner cette fois face à la mer. Il se régalera comme à l’accoutumée de sa cuisine simple et solaire, réalisée à l’instinct et à l’instant. Hier, il est parti avec elle à la recherche des plantes traditionnelles qui ont servi à l’infusion du soir.

« L’Amazir (...) sait qu’il fait partie au-delà d’un club, d’une même famille et d’un projet aussi fou que vaste (...) Il sait aussi, depuis Héraclite, qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. »

Demain, tandis que lui, au prix d’une marche entre mer et garrigue, s’éveillera avec le soleil pour un petit déjeuner inoubliable à l’abri d’une grotte incommensurable, elle, comme chaque matin, s’en ira chercher pour lui et pour tous les autres Amazirs le meilleur de la criée chez le poissonnier voisin. Après avoir sorti son pain et ses brioches du four qu’elle aura finis de faire pousser aux aurores, elle préparera pour les uns ses rougets grillés en feuille de citronnier à la pistache, pour d’autres le sériole en croute de sel, le risotto à l’encre et ricotta ou bien encore le thon poché et sa salade de légumes puis, elle passera au dessert avec la même joie de vivre communicative. Ah ses cannellonis siciliens, ses cassata aux amandes grillées et ses tartes rustiques aux fruits de saison livrés le matin même par Giuseppe ! Cette femme exceptionnelle l’aura marqué, il l’embrassera elle aussi sur le pas de la porte le jour du départ tout comme l’impeccable Margot qui aura veillé au bon ordonnancement de cette maison avec l’autorité et la douceur nécessaires. La flamboyante Elena n’échappera pas aux embrassades. Elle qui aura suivi chacun avec son pliant et son barda, tantôt tapie dans l’ombre d’un olivier, debout dans l’embrasure d’une porte ou postée sur un promontoire rocheux. Elle l’aura croqué au fusain, esquissé à l’aquarelle, envisagé au pastel ou dessiné à l’encre. Ses portraits et ses paysages, immortalisant chacune de ces journées passées à la découverte du Salento, lui seront remis comme à chacun avec son passeport tamponné à l’issue du séjour. Mais à ce moment-là, il sera déjà trop tard ! Comme moi, il ne rêvera plus alors que des paillettes du soleil dans la mer, du froufrou des oliviers au vent, du craquement des épines de pins sous les pieds, de la saveur du sel sur les lèvres, de ces sourires éclatants et de ces peaux chauffées au soleil. Il voudra recompter les heures où il a touché de si près le bonheur d’être soi, à deux ou à plusieurs. Il s’est enfin laissé aller et pas que dans les mains de Khatarina, qui une semaine sur deux se tient à disposition des hôtes du Palais pour leur faire découvrir à loisir les bienfaits des produits Biologique Recherche. Il a retrouvé cette culture du partage avec Amdou, Antoine, Souleiman, Mamo, Valério et tous les autres. Il a savouré ce goût inédit de la surprise, il s’est mis à l’écoute de ce bout de terre qui plonge vers la mer et au loin l’Afrique, il a mis le monde en résonance. L'Amazir, qu'il est désormais, sait qu'il fait partie au-delà d’un club, d’une même famille et d'un projet aussi fou que vaste qui enchante son initiateur. Pour tout cela et plein d’autres raisons encore, il a déjà décidé de le retrouver en fin d’année au Cambodge pour la suite de 700.000 Heures car il sait aussi, depuis Héraclite, qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.

Mots & images : Patrick Locqueneux

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