Back from… Heckfield Place
Entre naturalité et modernité !
Heckfield Place. Retenez bien ce nom, car celui qui hérita pendant dix très longues années du titre du projet le plus différé d’Angleterre pourrait bien s’enorgueillir de celui, bien plus enviable, d’hôtel le plus révéré du pays. « Tout vient à point à qui peut attendre ». À une heure à peine de Londres, dans ce coin du Hampshire ayant pour voisinage quelques-uns des plus beaux jardins d’Outre-Manche, le dicton de Rabelais semble avoir trouvé son écho. Le domaine de quelques 160 hectares propriété de Gérald Chan, le sémillant philanthrope d’origine Hongkongaise installé à Boston, vient en effet d’ouvrir officiellement ses portes le 1er septembre dernier, tirant définitivement le trait sur sa longue période d’abandon et de tergiversation.
L’ancienne demeure Georgienne aux briques rouges désormais impeccablement manucurées s’impose désormais comme un refuge de campagne aux antipodes du monde moderne. Façonné par une nature sauvage et domestiqué par la main bienveillante de l’homme au fil des siècles, dont le célèbre William Walker Wildsmith, dont la ligne de soins exclusive du domaine porte aujourd’hui le nom, le « playground », comme aime à l’appeler Olivia Richli, flamboyant transfuge d’Aman aujourd’hui à sa tête, s’avère être un champ de possibles aussi inédit qu’infini. J’en veux pour preuve ma première visite en exclusivité, quelques semaines avant son thé de rentrée inaugural, qui ne sera pas plus venu à bout de mon enthousiasme que de ma foi en l’avenir de ce projet. Comme l’idéaliste et placide Mr Chan, j’aime à croire qu’Heckfield Place, malgré son inévitable apport de marbre dans sa reconstruction, n’ait de son destin rien gravé dans la pierre. Conçu comme une ode à la terre et à ses offrandes, le Domaine, à l’instar de celui des Étangs à Massignac en France, ne livrera pas tous ses charmes en une fois. Gérald Chan et Garance Primat n’ont pas que leur fortune en commun, ils ont cette même intelligence du cœur et cette foi aussi irraisonnée qu’inextinguible en un monde meilleur et plus beau, qu’importe le temps qu’il faudra pour offrir au monde leur version de l’hospitalité la plus vertueuse.
Certes, dans un cas comme dans l’autre, leurs hôtes ne seront pas légion à pouvoir toucher de près ce que le discernement et le bon sens, portés par des moyens illimités, sont capables de produire. Tous ne pourront pas s’offrir à Heckfield Place l’unique et spectaculaire Long Room affichée au tarif de 10.000£ par nuit venant avec cuisine, salle à manger et terrasse privées, la bucolique Lake offrant comme il se doit le plus beau panorama sur le lac et le parc environnant, la Heath avec ses allures de refuge pour esthète préraphaélite, l’archétypale Coppice exsudant la quintessence du chic anglais, la très Georgienne et divine Pannelled room ou l’extravagante Ochre Room et son impressionnant salon de bains plus modestement tarifée à 1.750£. Sur le même principe qu’au Domaine des Étangs, ces chambres très superlatives qui auront bien évidemment les faveurs des plus nantis auront aussi le pouvoir de leur enseigner que le bon goût ne se mesure pas à l’aune de leurs fortunes. Et si ni l’un ni l’autre de ces Domaines n’est destiné au commun des mortels mais bien à celui à même de comprendre l’histoire singulière que l’on tente d’y écrire, comme avec les métairies ou la longère des Etangs, il « reste » ici en dehors de ces six Suites Signatures logées dans la bâtisse principale et du futur Lodge encore à ouvrir, des options plus raisonnables. Car même si le bon goût n’est pas ce qui se partage le plus aisément, les plus belles leçons ne valent que si elles sont partagées plus largement.
Les "Corridors", les annexes ouvertes sur des jardins plus extraordinaires encore qu’on admire, pour la plupart, depuis d’impeccables terrasses équipées et arborées, réservent ainsi quelques 40 chambres oscillant entre 350 et 1.000£/nuit pour des surfaces allant de 22 à 68m2 entre lesquelles il s’avère bien mal aisé de choisir. Bien que se différenciant les unes des autres par leur palette de couleur, du rose poudré au gris cachemire en passant par le rouge carmin ou le vert mousse, sans parler des œuvres d’art toutes aussi uniques issues de l’incroyable collection du propriétaire ornant leurs cimaises, ces « Guest », « Friends », « Chamber » et « Master Rooms » n’ont qu’un problème, elles ont toutes, sans exception, un charme équivalent et ravageur. Heureusement, malgré l’inestimable poids du rêve, l’argument du prix peut s’avérer ici un allié de taille dans la balance.
Mais parler de ces considérations techniques ou tarifaires nous éloigne de notre propos et de ces philanthropes d’aujourd’hui qui se chargent de repenser le monde à force d’audace et de magie. Gérald Chan et son épouse ont fait fi du temps et ne se sont pas contentés de ce qui leur était donné. Ils ont fini par trouver auprès de l’ancienne garde rapprochée d’Adrian Zecha les premiers pourvoyeurs de leurs rêves de mieux vivre. Ils se sont également adjoints le talent brut d’une pionnière du mieux manger en la personne de Skye Gyngell. Celle qui fut Food Editor au Vogue et qui régna sur les cuisines des Pettersham Nurseries avant d’ouvrir Spring dans le cadre de la Sommerset House connaît son propos. Cette passionaria dont le rapport à la terre est en phase avec celui de ses mécènes parle aussi bien du rythme des saisons que du gaspillage alimentaire. Chaque jour ses équipes récoltent à la ferme de Fern Verrow ou dans les serres, potagers, ruches et vergers du domaine la juste part nécessaire aux cuisines des deux restaurants du domaine baptisés « Marle » et « Hearth » qui ne pouvait trouver plus habile contraction que celle de la terre et du cœur. Quel que soit le mode de cuisson propre à chacun de ces restaurants, la cuisine de Skye se montre aussi simple que juste pour ne pas dire essentielle à l’instar de son petit déjeuner qui atteint des sommets de perfection.
Les préceptes de durabilité et de naturalité ne se sont pas arrêtés aux portes des cuisines, ils essaiment leurs vertus à tout va, du très onirique « Moon bar » à l’impeccable « Bothy Spa » qui trouvera à l’été prochain sa parfaite complétude dans un spectaculaire bâtiment blotti au cœur du domaine. Des arbres aux plantes en passant par les herbes aromatiques et les fleurs, la Nature dans son ensemble s’invite en tout et de toute part, débordant de ses sous-bois, de ses prairies, de ses jardins médicinaux ou de fleurs à couper pour nourrir de sens chaque recoin de la maison. Si une équipe d’une soixantaine de jardiniers veille entre autres à l’ordonnancement extérieur, des glycines aux fougères en passant par les lavandes et autres roses des jardins, une équipe venue du Japon s’est chargée de concevoir in situ la signature olfactive des intérieurs tandis qu’une styliste florale de chez Kitten Grayson passe le plus clair de son temps à fleurir les centaines de vases différents qu’y a disséminés celui qui a évolué dans l’ombre d’Ilse Crawford pendant près de 10 ans et à qui l’on doit l'irréprochable Ett Hem à Stockholm. Vous ne trouverez donc presque rien sur le discret Ben Thompson qui, comme sa décoration, a l’intelligence de se faire oublier, pour s’imposer comme une évidence. Pour lui comme pour les autres artisans de cette réussite, Heckfield Place marquera leur avènement.
L’on pourrait passer des heures à tenter de décrire l’indescriptible et à se livrer au plus ennuyeux des inventaires listant chaque élément participant au confort extrême et à l’atmosphère unique se dégageant de ces chambres pensées dans leurs moindres détails mais Heckfield Place est bien plus qu’un simple hôtel de luxe, un énième restaurant de campagne ou un vaste domaine agricole et forestier. Heckfield Place a été voulu comme une maison de famille mais aussi pensé comme un lieu d’échanges, de rencontres et de progrès défendant ce fameux « Sense of place » dont chacun se réclame mais que personne ne semble vouloir comprendre.
Ainsi, le cinéma de 70 places ouvert à la clientèle extérieure va au-delà du simple outil de distraction ou de la pâle copie de ce qui fait le succès de nombreuses Soho Houses, il participe au propos de The Assembly, le programme mis en place autour du domaine, de son héritage culturel et artistique comme de ses pratiques environnementales vertueuses. Journalistes, philosophes, artistes et autres acteurs d’un monde meilleur viendront ainsi débattre des valeurs d’hier comme de celles de demain. Heckfield Place compte bien faire de sa naturalité une modernité et de son bon goût une évidence. Quoi qu’on en dise, l’Angleterre n’a pas dit son dernier mot, elle vient de se trouver son nouveau joyau.
Mots & images : Patrick Locqueneux
À partir d'env. 400€/nuit
Surclassement selon disponibilité • early check-in & late check-out selon disponibilité • 100$ credit • petit déjeuner • goûter • accueil personnalisé