Back from… Masseria Moroseta
L'été en pente douce !
Dans Les Pouilles, les masseria ne font pas exception à la règle et se conjuguent, comme tout le reste, au pluriel. Il n’existe pas un prototype de cet habitat et de cette forme d’hospitalité inventés il y a plus de vingt ans par la créatrice de la Masseria San Domenico, mais bien autant de variations que d’inclinations de ce paysage dans lequel elles forment d’inévitables étapes entre deux villages à la personnalité affirmée. Masseria Moroseta est l’une d’entre-elles mais surtout celle dont tout le monde parle.
Je fus l’un des premiers à rêver de cette architecture virginale faisant écho à la blancheur de la ville d’Ostuni, qu’on ne se lasse pas d’admirer de son toit-terrasse. Aujourd’hui, l’escalier qui y mène est presque devenu une image d‘Épinal, vu et revu dans tous les magazines. Il faut dire que son concepteur dirige lui-même l’un des plus inspirants du moment à l’instar de Cereal ou de Kinfolk. Si Masseria Moroseta a donc tout naturellement fait la couverture d’Openhouse, elle a également fait la une de bien d’autres tant sa photogénie est évidente. Ce qui s’avérait être un coup d’essai de la part d’Andrew Trotter, novice dans le métier d’architecte, s’est ainsi érigé en modèle pour d’autres, ce qui lui a donné suffisamment d’aplomb pour s’attaquer à de nouvelles réalisations dont une annexe qui deviendra son nouveau chez lui au bout de ce terrain planté, comme il se doit, de quelques six cent oliviers pour la plupart millénaires. Pour l’heure, Moroseta abrite encore sa vie au quotidien avec Carlo Lanzini et leur bouledogue Pepe.
C’est à la demande de Carlo, nostalgique de son Italie natale et amoureux des joies simples de la campagne, qu’Andrew s’est improvisé architecte. Bien leur en a pris. Ils ont réalisé là, comme beaucoup, ce rêve de pouvoir faire d’une passion leur métier. Lorsque Andrew rejoint son magazine à Barcelone, Carlo assure seul avec sa petite équipe le train de vie de cette villégiature ayant l’Adriatique pour horizon et six chambres au compteur. L’ancien apprenti réalisateur à Central St Martin et restaurateur en Ombrie y est à son affaire. Il est l’âme de ces lieux dépourvus de réception et de tout ce qui pourrait faire référence à l’hôtellerie.
Faire le choix de la Masseria Moroseta, c’est accepter de partager le quotidien de Carlo et de sa maison. La table de salle à manger, quand elle n’est pas prise pour l’un des diners improvisés, un soir sur deux, lui fait office de table de travail la journée et s’il sert lui-même les petits déjeuners ou prépare le Spritz à l’apéritif, il s’octroie volontiers une pause quand ses invités ont déserté les abords de la piscine turquoise ou ceux plus sombres du jacuzzi en sous-sol. Carlos est là sans être là, il veille à tout sans s’imposer en parfait hôte de maison. S’il est impatient de déménager dans sa nouvelle maison, c’est plus pour laisser sa cuisine à Georgia, que pour échapper à ses clients.
Avec elle, il a trouvé une Babette aussi jeune que talentueuse, une des seules capables de dépasser les préceptes d’une cuisine rustique et d’en sublimer les saveurs au cours de festins trop rares. Heureusement les petits déjeuners conçus comme de véritables brunchs en donnent un avant-goût. Jus de raisin fraichement pressé du jardin, entremets salés ou sucrés juste sortis du four, œufs à façon, salades variées et mille autres saveurs s’enchainent ainsi chaque matin et font oublier qu’au moment d’écrire ces lignes, de déjeuner il n’est ici permis. Seules des bruschetti à la tomate quand sonne midi, un gâteau pour le goûter ou des assiettes de figues viennent calmer les appétits ainsi aiguisés et alanguis au jardin, bien incapables de s’en aller chercher pitance ailleurs. Une fois les travaux terminés, la cuisine agrandie et les appartements de ces messieurs transférés, Georgia aura tout le loisir de laisser libre cours à son talent.
Pour l’heure, chacun s’empresse de répondre présent à l’invitation de Carlo et d’Andrew à partager leur table d’hôtes à intervalles réguliers, trop contents d’y découvrir ses créations comme de participer aux échanges d’une clientèle cosmopolite fédérée autour du beau et du bon. Sur cette table souffle l’esprit des Pouilles et uniquement lui. Carlo a l’exigence et le bon sens de la saisonnalité comme du locavore, le vin de la région coule dans les verres, les mets de Georgia s’arrosent de l’huile du jardin, les œufs viennent du poulailler, le coulis de tomate a été préservé de l’année passée et tout cela se déguste dans les créations uniques des Fasano père et fils dont il possède une collection faramineuse également proposée à la vente tout comme les draps de lin de la maison ou la fameuse huile d’olive à l’emblème du coq.
Moroseta va bien au-delà de l’urbanité de son architecture. Une fois passée sa monumentale grille et son mur d’enceinte pour le moins impressionnant, un monde bien plus rural s’ouvre au visiteur. Le vélo avec sa cagette de raisins n’est pas là que pour la photo, la vigne va bientôt courir le long des murs un peu austères de cette cour où s’écrase en grande largeur le soleil, y traçant des ombres à l’insolente photogénie. L’escalier mythique ne mène vers rien d’autre que le paysage et ses champs d’oliviers plongeant dans la mer. Une maison de campagne contemporaine résume assez bien ce lieu dédié au bien vivre comme au bien-être où un thérapeute assure en saison les massages et où des "yoga retreats" s’improvisent toute l’année au rythme des cours de cuisine dispensés par Georgia. Tout ce qui parait incontournable aujourd’hui pour nombre d’hôtels sans que cela ne fasse sens trouve ici une parfaite justification.
Qu’on ne s’y trompe pas, si la maison impose de prime abord il n’est pourtant pas question, ici, d’une quelconque sophistication. La mise se veut simple à bien des égards à commencer par les tarifs de ces 6 chambres et suites qui me l’on fait classer dans la catégorie de ces « cheap & chic » hotels que j’affectionne tant quand ils réussissent à marier le bon marché et le bon goût mais dont la simple expression en fait sursauter plus d’un à commencer par Carlo associant hâtivement cheap et bas de gamme au point d’en relever ses tarifs. Aurions-nous dû débaptiser ce temple de l’élégance qu’est Le bon Marché ? Cessons d’être effrayé par des prix raisonnables quand tant d’autres se croient obliger d’affoler les compteurs pour vendre leurs produits pourtant si peu désirables et uniformisés.
Bien sûr Masseria Moroseta ne tutoie pas la perfection, les finitions laissent parfois à désirer mais il y a là cet indéniable talent toujours et cette liberté heureusement plus répandus de nos jours de faire avec deux bouts de ficelle et trois fois rien, un tout des plus plaisants. Ainsi, les chambres monacales et blanches, où le mobilier se prend principalement dans la maçonnerie, se laissent chahuter d’objets chinés dans les brocantes alentours, entre lit en fer, chaise de paille et miroir doré, et les salles de bains laissent à la vue les tuyaux de cuivre et la robinetterie technique jouer les intrus au-dessus de vasques en pierre et de carrelages patinés. Tout cela fonctionne bien et n’empêche en rien à la lumière de fuser à travers les persiennes et aux terrasses privatives de s’ouvrir sur la nature. Moroseta n’est qu’un transmetteur, un point de contact avec ce qui fait la richesse et l’humilité des Pouilles, une porte ouverte que l’on s’empresse de franchir pour rejoindre la piscine et étaler sa serviette de lin blanc sur les transats armés de leur pare-soleil dispensant de parasols et laissant l’été filer en pente douce…
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 150€/nuit • petit déjeuner