Back from… Masseria Potenti
Potenti comme puissant !
Les Imperiali ont passé la main, depuis longtemps déjà, mais leur imposant domaine continue de se hausser du col en laissant sourdre sa blancheur au milieu des champs d’oliviers et des vignes à perte de vue. Au-delà de cet océan en camaïeu de vert, le regard plongerait presque jusqu’à la mer Ionienne à quelques kilomètres de là mais Potenti est une agricole pas une maritime, sa cour immaculée en témoigne. Écrasée par le soleil, presque infranchissable de l’après-midi entière, elle règne ici en maître.
Gardée par le chant saccadé des cigales, cette piazza aux faux airs de forum abandonné bat la mesure d’un temps forcément indolent. Il faut attendre le soir pour que l’air revienne jouer dans les voiles, que la lumière décline et dessine des arabesques au détour d’un escalier abandonné ou d’une murette alanguie sur laquelle s’aventurent d’entreprenants figuiers de barbarie. Enflés par le soleil et rougissant à l’unisson de la Fiat 5OO iconique abritée à l’ombre de leurs feuilles en forme d’oreilles que d’aucuns s’amusent avec goût à faire des trophées dont orner des murs un peu trop nus, ces fruits ont eux aussi valeur de symbole. Solaires, exubérants, généreux, ils résument à eux seuls l’esprit des lieux comme le caractère de leurs propriétaires.
Si la vaste cour aurait pu être le théâtre parfait d’un drame italien ou d’un roman noir, elle sert au contraire à toutes sortes de célébrations dont la maitresse de maison a le secret. Là encore, nous sommes loin de l’univers cher à l’auteur du « Soleil des Scorta ». Maria Grazia Di Lauro Tommasino, Chiara sa fille, Walter son fils et Paolo son mari sont fait d’un autre bois. Masseria Potenti est la concrétisation de leur rêve d’espace, de fantaisie et de liberté que leur vie milanaise ne leur offrait que trop rarement. Ils ont donc dédié cette Masseria au culte des plaisirs, notamment au plus sacré et au plus heureux d’entre eux : le mariage. Ainsi, il n’est pas rare que la Masseria vibre au son des fêtes les plus folles, plusieurs jours de suite comme ce fut le cas lors de mon dernier séjour. Dans ces moments bénis, Maria Grazia rayonne plus que jamais, l’occasion pour elle de s’en aller à travers champs se charger plus que de raison de ces brassées de fleurs sauvages dont elle garnit avec un art consommé le moindre récipient ou ustensile patiemment chiné par ses soins et qu’elle essaime dans chaque recoin de son immense demeure. Les paniers de joncs tressés, les ustensiles en bois d’oliviers, les seaux en fer blanc ou la délicate vaisselle de Grottaglie obéissent alors à toutes ses fantaisies créatives. Littéralement pendus haut et court ou alignés en rangs d’oignons, ces vases de fortune trouvent une nouvelle vie entre ses mains expertes.
Associés aux couvre-lits matelassés, aux rideaux en dentelle de Locorotondo ornant les lits en fer forgé, aux bondieuseries et autres ex-voto ornant les murs, ces objets usuels issus d’une chine incessante se donnent des airs opportuns. Installées dans les anciens communs, au cœur même et historique de la Masseria, au fond du jardin ou dans la tour de garde, chacune des 18 chambres et suites de la Masseria Potenti se veut unique. Maison de poupées romantiques, vastes appartements familiaux ou cellules plus modestes, il y en a pour tous les goûts et tous les budgets. Parfois dotées de petits jardins où se faire servir les repas, d’un bassin de fortune où se doucher en extérieur, de terrasses pointées vers le soir et tendues à l’horizon, agrémentées d’un figuier ou d’un olivier étalant sa juste dose d’ombre pour la paresse, ces petits ilots de bonheur, bien qu’un peu sombres, sont à leur affaire. Ils me rappellent un peu comme d’autres choses ici la fantaisie d’une série américaine qui avait pour nom "Les Arpents verts" et pour héroïne l’iconoclaste Zaza Gabor. Là, pas de cochon qui parle ou de voisin bas du front mais une même irrévérence, une même folie contagieuse et surtout une protagoniste qui aime à paraitre autant qu’à donner. Maria Grazia appartient, comme Mimine des Terrasses d’ibiza et bien d’autres encore, à ces maitresses-femmes qui n’aiment rien tant que festoyer et se régaler d’être au centre de gens aimés autant qu'aimants. Malgré sa réception et ses employés parfois un peu ternes, la Masseria Potenti n’a pas grand-chose à voir avec l’hôtellerie dans son acception classique, ce qui pourra en dérouter plus d'un en attente d'un véritable service. Plus proche de la maison d’hôtes, elle reste fidèle comme la Masseria Moroseta, dont les propriétaires sont d’ailleurs des intimes, à cette notion de Masseria inventée par Madame Melpignano en son temps. Masseria Potenti se mérite et s'apprivoise.
Avec mariage ou sans, les 130 hectares de ce puissant domaine agricole datant du 16ème ont trouvé une nouvelle vie au son des inévitables tambourins et au rythme éternel de la tarentelle. Ici, les traditions perdurent et c’est heureux. Cet ode à la rusticité des Pouilles singulier et pour le moins bohème mérite que l’on s’y attarde, voire que l’on y prenne pension comme nombre d’aficionados ensorcelés par le charme indéniable de Maria Grazia ou conquis par sa cuisine généreuse. Si Masseria Potenti connaît d’inévitables détracteurs incapables de se fondre dans le décor, elle vibre surtout des louanges de ses fans qui se délectent inlassablement de ses pâtisseries maison dont les traditionnels "Ciambella" ou les incontournables "Pasticciotti" faits avec la farine du domaine, de ses coupelles de fruits du jardin, de ses tomates cerises ou de la mozzarella produite non loin et comme il se doit présentes dès l’heure d’un petit-déjeuner vécu alors comme une fête. Chaque matin telle une pythie révérée, Maria Grazia y fait son apparition, virevoltant entre ses jarres et ses plateaux débordant de ses bontés. Elle donne alors le la de journées bien remplies, en retrait des voilages blancs flottant au vent ou aux abords de la piscine allurée pour ceux qui auront préféré rester "Tranquillo" comme on dit là-bas. Une fois l'augure paru, il ne faudrait pas croire que ses ouailles songent à se disperser au dehors. Tous vouent un culte à la Madone et à son domaine enchanté. Pas étonnant qu'à l'Ouest de ces Pouilles que chacun se doit désormais d'avoir vues, Masseria Potenti se vive comme un pèlerinage pour les uns ou une étape incontournable pour les autres. Potenti ne veut-il pas dire puissant dans la langue de Dante ?
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 180€/nuit
petit déjeuner • accueil personnalisé