Back from… Santa Clara 1728
Lumineux !
Il y a des hôtels qui n’en sont pas. Ce sont des lieux de vie ou d’expériences qui ont à voir avec quelque chose d’éminemment supérieur parce qu’ils touchent à l’existence même ; celles de leurs créateurs comme de leurs pensionnaires.
Etrangement, la plupart d’entre eux ont pour terre d’élection le Portugal et plus particulièrement son Alentejo comme s’il y avait ici un terreau plus favorable qu’ailleurs. J’en suis personnellement convaincu. L’héritage familial, le sens des traditions, la culture du partage, la singularité du climat, la force de la nature, l’impact de la dictature comme de la crise ont indéniablement donné naissance aux Sao Lourenço do Barrocal de José Uva, L’And Vineyards de José Cunhal, Sublime Comporta de Gonçalo Pessoa, Dà Liçenca de Frank Laigneau et Victor Borges, Villa Extramuros de Jean-Christophe Lalanne et François Savatier, comme aux Casa No Tempo, Casa Na Areia, Cabanas No Rio et Santa Clara 1728 de Joao et Andreia Rodrigues. Sur cette route qui mène de Lisbonne aux confins de l’Espagne, entre terre et mer, chacun a créé à sa manière et à la force du poignet des lieux singuliers, bien souvent démesurés et visionnaires aussi enthousiasmants qu’évidents.
Curieusement, tous ont en commun d’avoir été porté par des hommes que la vie destinait à d’autres honneurs ou d’autres carrières. Certains d’entre eux poursuivent d’ailleurs cette double voie, méritant plus que jamais le respect. À la fois pilote de ligne et créateur de lieux d’exception, Joao fait partie de ceux-là. Depuis 2010 où Casas Na Areia, l’iconique maison pieds dans le sable, eut l’honneur de représenter son pays à La Biennale d’architecture de Venise jusqu’à aujourd’hui avec Santa Clara 1728 au cœur de Lisbonne, cet ardent défenseur d’un âge d’or portugais n’a jamais démérité. Sur la route mémorielle et visionnaire menant de l’une à l’autre, créée avec la complicité de son épouse dévouée et de son ami Manuel Aires Mateus, la nature a retrouvé le chemin de l’harmonie avec l’homme, la pendule s’est remise à l’heure du temps de l’innocence, du bonheur et de l’abondance, d’un temps hors du temps, les générations se sont réconciliées, l’intime s’est mêlé à l’universel pour transcender l’époque et former le concept de Silent Living. De Casa Na Areia à Cabanas No Rio en passant par Casa No Tempo et jusqu'à cette bâtisse lisboète devenue leur maison de famille comme le cœur de cette nouvelle entité, l’atmosphère joue un rôle primordial.
À Santa Clara 1728, que je fus l’un des premiers à visiter bien avant son ouverture, flotte le parfum délicieux et indéfinissable des joies simples. On ne saurait dire à quoi cela tient. À l’espace, à l’air ou à la lumière ? Sans doute un peu des trois. Ce qui est sûr, c’est que ces éléments trouvent ici de quoi s’exprimer à merveille. Des vastes chambres aux allures de suite (50m2 min.), on ne rêve que d’ouvrir les portes fenêtres et de plonger dans la vue imprenable, dans ce Tage aux eaux étales traversé de bateaux en tous genres tentant de retenir d’évanescentes images symbolistes. Les télévisions à écran plat que d’aucuns auraient encore aimé placer sur les murs glabres ne viennent pas plus à manquer que la climatisation. Pour ceux ayant opté pour les suites Tejo, du fond du lit impeccable comme de la douche ouverte ou de la baignoire de pierre posées aux premières loges, le paysage se laisse donc admirer sans relâche et sans détour.
Difficile d’imposer plus que cette vue couronnée par la silhouette tutélaire de l’ancienne église de Santa Engracia devenue Panthéon National. Les occupants des Suites Santa Clara qui disposent d’un espace à vivre plus vaste avec un salon intermédiaire et une salle de bains encore plus généreuse disposent également de la vue sur le jardin intérieur depuis cette dernière. Toutes ont cependant le même caractère empreint de la rigueur de Manuel Aires Mateus, comme toujours aux commandes des projets d’Andreia et Joao. Que d’à-propos et d’intelligence dans ces salles de bains épurées aux carrelages imparfaits, ces toilettes-cabines de bois vêtues, ces hautes vasques de pierre assorties aux baignoires monolithes à fleur de sol. Une fois de plus, le bel ouvrage de Manuel force l’attention et le respect. D’un rien il fait tout. Avec lui, le minimalisme a trouvé l’un de ses maîtres. À l’heure de la décroissance et du renoncement aux contingences comme aux biens matériels, Santa Clara 1728 nous offre une parenthèse aussi agréable que nécessaire.
Seuls deux tableaux monumentaux chinés sur le Feira de Ladra, le marché aux Puces sis au pied de l’immeuble, viennent nous rappeler dans le hall et la salle à manger commune la valeur de l’art et les tourments de sa collection. Bien que volontairement décrochés et outrageusement surlignés d’or comme une provocation dans cette thébaïde quasi monochrome, ces œuvres géantes voire presque gênantes forment un contre point fascinant, rappelant l’importance de la lumière et de son ensorcelant pouvoir. Elle sert ici, avec l’intelligence, de fil conducteur, jouant avec les formes, délimitant les espaces, magnifiant les volumes ou sculptant les détails. Toutes les fenêtres de la maison tournée vers le sud n’attendent qu’elle, impatientes de se laisser envahir par sa douceur bienveillante comme un rempart à la sombre nostalgie du Fado résonnant encore dans les bars de cet Alfama du bord de mer.
Santa Clara 1728 porte bien son nom. Impossible de résister à la joie claire et presque divine qui nous y saisit dès les premières heures du jour quand la maison s’active, que les premiers membres de l’équipe arrivent dans ce bureau aux allures de salon toujours ouvert, que les bouquets délicats s'offrent au regard, qu’Andreia emmène les enfants à l’école, que la nappe blanche est dressée presque à la hâte sur l’imposante table communale, que les fruit simples, les confitures maison, les fromages du cru, les beurres amollis, les gâteaux et les pains encore tièdes sont lâchés çà et là sans autre règle que celle de la gourmandise instinctive. À cette table, il n’est pas plus question de buffet que de carte, dieu soit loué. Le petit déjeuner est une affaire de bon sens et de bon goût. Ce matin-là, jus de poires fraichement pressées, œuf mollet aux légumes verts ont de quoi plaire à tout à chacun. Pedro Pena Bastos en supervise le menu. Officiant également pour le diner du mercredi au samedi, le talentueux chef de Ceia, souper dans langue de Pessoa, est l’homme du moment à Lisbonne. Sa table de partage qui s’inspire des diners de famille et peut accueillir jusqu’à 14 convives se réserve désormais de longs mois à l’avance.
L’aventure modeste de Joao et Andreia mue par la recherche du bonheur et des plaisirs simples a évolué au fil du temps sans rien perdre de son engagement ou de ses préceptes en une petite entreprise qui ne connaît pas la crise et que le monde ferait bien d’envier. Sous la bannière Silent Living, se cache désormais l’un des portefeuilles les plus diversifiés et les plus remarquables qui soit. Leur futur projet, toujours piloté avec la complicité de Manuel Aires Mateus sur les centaines d’hectares du domaine familial de Casa No Tempo et dont j’ai pu voir les premières esquisses fera date à n’en pas douter. Là encore, devrait se jouer une énième tentative de reconnexion entre passé et futur, pour un présent aussi paisible qu’intemporel.
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 400€/nuit