Back from… Villa La Coste
Épicure y aurait été heureux!
Nous serions en Arles que l’introduction de ce report aurait été toute trouvée, pouvant qualifier alors ce projet de véritable Arlésienne. Dieu qu’il se sera fait attendre. Aujourd’hui encore, nous ne sommes pas sûrs qu’il soit tout à fait officiellement ouvert.
Rares sont les hôtels qui auront autant vécu dans la confidentialité. Il faut dire qu’il n’en est pas tout à fait un ou bien plus que cela, pour être tout à fait exact. À la fois intime et immense, unique et multiple, ce lieu hors norme se veut à l’image de son propriétaire. Comment pourrait-il en être autrement puisque lui-seul l’a pensé et continue de le façonner à sa guise et à sa mesure. Lui, s’appelle Patrick McMillen, Paddy pour les intimes. Je sais qu’il préférerait s’abstenir d’être cité mais je le sais aussi conscient de ne pouvoir faire pareille économie tant sa personne est indispensable à la compréhension des lieux sans qu’il soit d’ailleurs besoin de s’intéresser à son parcours ou au montant de sa fortune sur lesquels sa fiche Wikipédia reste aussi discrète que l’homme. Si les professionnels savent, eux, ce que Maybourne Group (Berkeley, Claridge’s et Connaught à Londres) lui doit, les néophytes n’auront noté que la consonance irlandaise de son nom et cela suffit ainsi. Car ce qui nous intéresse ici, c’est bien la capacité de l’homme à formuler des projets et construire des rêves, des rêves de grandeur ou des rêves à vivre, pour soi ou pour les autres, cela est égal et l’un n’allant pas sans l’autre.
Que savait Paddy de la réalité de cette aventure quand il s’enquit de rejoindre sa sœur, Mara, tombée amoureuse de la Provence, il y a vingt-cinq ans de cela ? Pas grand-chose, si ce n’est qu’il en profiterait pour faire du vin. Aujourd’hui, après dix ans d’une activité supervisée par le vigneron Mathieu Cosse, son domaine vendange les trois couleurs en bio-dynamie et sort, des chais spectaculaires qu’il a fait dessiné par Jean Nouvel, pas moins de 750.000 bouteilles par an. Comme si cela ne suffisait pas, ses cuvées atteignent des sommets d’excellence à l’image de ses trois « Grand Vin » qui n’ont pas volé leur nom ou de sa Bulle qui ferait pâlir d’envie nombre de champagnes rosé. Pour autant, l’homme a su raison garder. Aussi étrange que cela puisse paraître, il a le succès aussi modeste que ses ambitions. La vieille bastide du domaine humblement réaménagée pour y loger ses parents, le hameau qu’il reconstruit petit à petit, la terrasse du café sur la place de ce petit village recréé en témoignent et contrastent étrangement avec le centre d’art contemporain qu’il a fait surgir ici et qui reste la clé de voute de ce projet, unique en France.
Oui, car nous sommes bien ici en France, dans cette Provence célébrée par Giono et Cézanne, au cœur de ce Lubéron prisée des nantis du monde qui ont choisi la discrétion et bien souvent la reconversion qui allait de pair avec leurs métiers. Ils sont nombreux à avoir délaisser tout ou partie de leurs activités pour se consacrer à la vigne, à l’hôtellerie, à l’art ou un peu des trois à l’instar de Paul Dubrulle ou de Frédéric Bouisse, dont on avait salué l’année dernière la création de son Domaine de Fontenille avec son partenaire Guillaume Foucher. On avait senti alors qu’Aix en Provence et la région toute entière allaient enfin sortir de l’impasse et que les festivaliers comme les touristes trouveraient là de nouveaux havres. Il y eut un peu plus bas, en Arles, la naissance du génial Collatéral de nos amis Schiepan, plus récemment le non moins réjouissant Hôtel des Roches Rouges troussé par Festen et Be-Pôles, dont on reparle très vite c’est promis, mais aucun d’entre eux, même s’ils portent tous une dimension artistique non négligeable, ne peut rivaliser avec ce que Paddy a imaginé ici à Puy-Ste-Réparade, sur cette route de la Cride qu’on emprunte au volant de ses "Defenders" noirs qui assurent les liaisons avec la gare à vingt minutes de là. Non, Sir McMillen a mis son Château La Coste, qui est à ne pas confondre avec celui de sieur Cardin, sur la carte des lieux à visiter et donc depuis peu où séjourner. Là où partout ailleurs, l’hôtel se cherche des relais de croissance en imaginant des activités complémentaires, ici au contraire, on a fait l’inverse, l’hôtel se posant comme l’aboutissement de ce qui avait été créé précédemment. Dire que l’hôtel n’avait pas été pensé dès le départ serait mentir, car Aman avait été pressenti il y a bien longtemps pour en assurer la conception comme la gestion, mais là encore, c’est une autre histoire. Villa La Coste n’aurait pas existé sans les vignes de Château La Coste et sans La Coste, ce centre d’art contemporain à l’envergure internationale qu'on ne saurait passer sous silence, une trentaine d’artistes y ayant laissé une empreinte à la hauteur de leur talent. Avec autant d’œuvres monumentales, Tracey Emin, Richard Serra, Frank Gehry, Lian Gillick, Andy Goldsworthy, Jean-Michel Othoniel, Lee Ufan, Guggi, Alexandre Calder, Kengo Kuma, Lee Ufan, Hiroshi Sugimoto et tant d’autres sans oublier Louise Bourgeois évidemment, dont l’araignée arcboutée sur ses pattes tordues comme des ceps de vignes fait référence, ont ainsi dessiné et offert au monde un parcours unique à ciel ouvert qui fait écho au bâtiment futuriste conçu par Tadao Ando et qui en forme le point de départ.
Depuis 2011, amateurs d’art ou simples promeneurs ont ainsi trouvé dans ce cheminement à travers enchevêtrement de chênes, alignement d’oliviers et vignes en coteaux de quoi étancher leur soif de découvertes. Il ne leur fallait aussi de quoi assouvir leur appétit. Le café d’Ando fut une première réponse suivie de la fameuse terrasse ou plus récemment du restaurant signé Francis Mallmann, le premier en dehors de son fief natal. Il ne manquait plus au tableau que Louison, le restaurant gastronomique que Gérald Passédat, triplement étoilé à Marseille vient de livrer avec la Villa au-dessus. Enchâssée dans un spectaculaire pavillon posé sur l’eau, tel un bijou dans son écrin, et ouverte sur son jardin, la salle signée d’André Fu impose autant que la cuisine qu’on y sert. Il faudrait d’ailleurs un article à part entière pour rendre compte de ce qui se joue sous l’émouvant couple entrelacé et suspendu de Louise Bourgeois. Bien qu’encore dénuée d’une véritable narration qui ne devrait pas tarder à se mettre en place, elle y est déjà d’une telle clarté et d’un tel équilibre qu’une étoile a minima ne manquera pas de venir la couronner dans les prochains mois. Les aixois ne devraient pas s’y tromper et les résidents de la Villa s’en réjouir. D’autant que pour les occupants de ses 28 Suites aux allures de pavillons ou de villas, le restaurant a eu la bonne idée de se décliner en table de poche du salon- cheminée à la terrasse en passant par le room-service ou le petit déjeuner. Ah le petit-déjeuner, rien que pour lui et pour son cake quinoa, sa salade de fruits fraichement coupés, son muesli maison, sa brioche ou ses confitures maison on voudrait que les matins durent tout le jour. D’autant plus quand la vue se mêle de la partie Avec pour seuls témoins les ruines de La Quille et le val de Durance à perte de vue, le panorama impressionne sans jamais lasser l’œil. On a beau chercher, on ne voit pas ce qui pourrait, au-delà des 220 hectares du domaine dont la moitié a été consacrée à la vigne, venir heurter le regard. Le plus frappant vient du fait que ce spectacle tout à fait grandiose, et plus particulièrement quand la brume matinale inonde la plaine de ses vapeurs ouatées, s’envisage de tous les balcons de cette nouvelle thébaïde entièrement tournée vers le bonheur. Aucune des suites n’y échappe, ce qui rend le choix de l’une d’entre-elles fort cruel selon que l’on préfèrera l’orientation de sa piscine privative au sud ou ouverte sur la vallée. Dix d’entre-elles, dont la très reculée N°19, viennent en effet avec de petits bassins à l’agrément non négligeable qui les transforment en villas bien réelles. S’y faire servir ses repas, dont ce merveilleux carpaccio de la pêche du jour saupoudré de poutargue et de fleurs du moment, arrosé d’un rosé du Domaine fait partie de ses plaisirs si rares qu’ils en deviennent essentiels.
Villa La Coste sait se rendre incontournable. Bien sûr, il y a d'abord cette affinité certaine avec la nature et cette invitation permanente à la contemplation, mais il y a aussi la table sans oublier le spa. Lui aussi superbement conçu par André Fu et auquel on apporte actuellement les dernières touches, il dispense déjà, sous la houlette de la divine et infiniment douée Pilar que l’on avait précédemment laissée à Amanera, des soins d’exception, qui là encore valent à eux seuls le détour. Il y a donc ici tant à dire et à voir, sans parler des œuvres d’art de la collection du propriétaire qui occupent les cimaises dans des proportions peut-être trop grandes, qu’on en oublierait presque que pareil ensemble manque d’une certaine cohérence et que ces chambres ne sont pas forcément les cocons aussi parfaits que la blancheur de leurs voilages, de leurs assises ou de leur linge de lin magnifiquement brodé ne le laisserait supposer. En fait, on les rêverait encore plus conventuelles, débarrassées de tout artifice comme pour mieux préparer à l’art extérieur mais ce serait oublier que tout ici répond à un goût très personnel qui n’obéit à aucune règle et qui semble faire fi de tout fil conducteur.
Cela en surprendra ou en agacera plus d’un mais ne nous y trompons pas, Villa La Coste porte parfaitement son nom. Il s’agit bien là d’une maison individuelle, d’une demeure privée ouverte aux amis, celle d’un collectionneur fonctionnant aux coups de cœur et qui ne compte pas finir de sitôt d’y réaliser ses rêves et ceux de ses hôtes. Lui demander la date d’achèvement de son entreprise, vous assurera d’ailleurs en retour d’un seul et large sourire. Une fois que cela sera entendu, alors, comme eux, on ne voudra quitter qu’à regret ces baldaquins que l’on croyait réservés à un autre âge, ces canapés profonds ou ces baignoires de quartz ouvertes sur les patios où prennent un malin plaisir à s’étirer les heures du jour et marquer de leur ombre les uniques et poétiques carreaux de céramiques incrustés dans leurs murs. À les regarder de plus près on s’apercevra d’ailleurs que les saynètes qu’ils dépeignent sont peut-être là pour nous rappeler à quel point l’aventure est d’abord humaine et dans quelle mesure on doit aussi à l’amabilité et l’empathie d’un personnel admirablement conduit par Nicolas Socquet d’avoir su rendre cette Villa aussi indispensable qu’incontournable dans le paysage français. À n’en pas douter, Épicure y aurait été heureux.
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 600€/nuit
Surclassement selon disponibilité • early check-in & late check-out selon disponibilité • 100$ credit • petit déjeuner • accueil personnalisé • 1 visite privée du parcours de l’art • 1 dégustation des vins du domaine