Back from… Villa Des Oliviers, Jacques Garcia Resort Noto

De la grandeur !

"Chacune des maisons que j’ai décorées, non seulement chaque pièce par moi soigneusement composée mais chaque objet que j’ai choisi et conservé dans les différentes époques de ma vie a toujours été pour moi un moyen d’expression, une révélation spirituelle comme l’un de mes poèmes. » Ces mots ne sont pas de Jacques Garcia mais de l’écrivain, dandy et homme d’état italien Gabriele d’Annunzio et pourtant ils résonneront étrangement à l’oreille de celui qui aura eu la chance de pénétrer la Villa des Oliviers, première pierre portée à l’édifice du futur et pompeusement nommé Jacques Garcia Resort.


Tout dans cette ancienne ferme, point de départ de cette aventure qui constitue un autre point commun avec son illustre prédécesseur, porte la griffe de ce style que beaucoup se sont essayés à décrire, encenser ou décrier selon. En effet, comme lui, Jacques Garcia s’est d’abord attaqué à un modeste mas entouré d’oliviers avant d’en acquérir inlassablement toutes les ruines et terres alentours pour y édifier son rêve. Si pour son ainé, l’idée était avec ce qui allait devenir le Vittoriale, de servir de sanctuaire de gestes héroïques italiens, les siens compris, il s’est agi là de rassembler des collections accumulées au fil des ans dans une scénographie à même de servir les plaisirs égotistes de l’esthète et du muséographe qu’il est devenu aujourd’hui pour le Louvre et d’autres avant lui. Avec des agencements aussi symboliques que monumentaux, ce gout unique dans le choix et la disposition de matériaux comptant presque exclusivement des restes d’art ancien comme des réminiscences de ces pratiques anciennes réunis et assemblés de sorte à créer un univers exquis aux effets rares que seul une intelligence plus compétente et plus expérimentée peut entrevoir, l’homme a une fois encore, démarré la construction d’un monde conforme à ses goûts.

« Tout dans cette ancienne ferme, point de départ de cette aventure (...) porte la griffe de ce style que beaucoup se sont essayés à décrire, encenser ou décrier selon »

L’immense chantier de son château de Champ de Bataille dans l’Eure touchant, de manière très relative, à sa fin, le décorateur se sent encore, à l’aune de ses 70 printemps, l’âme d’un jeune homme, la tête peuplée de nouveaux rêves grandioses qu’il partage désormais avec son ami jardinier Patrick Pottier. De cette Villa des Oliviers qu’il a encore habitée personnellement jusqu’à ces tout derniers jours à la manière d’un des Esseintes, autre dandy célèbre mais de fiction et avec lequel les similitudes sont là-encore bien réelles, il a donc décidé de faire le point de départ d’un complexe hôtelier, un resort comme disent nos cousins d’Amérique. Pour cela, il va la délaisser aussi prochainement que définitivement pour prendre livraison du monastère sur la colline appelé à devenir l‘une de ses résidences privées, résidence qu’il a pris soin de réhabiliter dans des proportions qui dépassent aussi bien le cadre de ce report que l’imagination du commun des mortels et qui forme la véritable raison de son installation ici, sur les collines environnantes de Noto, au sud-est de cette Sicile solaire dont les rayons lui siéent si bien. Quoi de mieux que la splendeur dorée de la cité baroque à dix minutes de là et cette terre d’ocre ponctuée d’oliviers aux reflets d’argent pour servir de cadre à sa fantaisie quasi illimitée ? Pareille mélodie terrestre ne pouvait, en effet, lui servir de plus beau refuge, à l’instar d’Adam et Eve chassés du Paradis tels que dépeints sur le monumental tableau de Magne ornant les cimaises du grand salon et faisant peut-être office de symbole de toute cette entreprise. Il n’est pourtant pas question ici de malédiction ou de ciel d’orage mais plutôt d’un Eden où les trois couleurs primaires, l’Azur d’un ciel presque toujours parfaitement uniforme, le Terre de Sienne de façades volontairement décrépies dans un esprit shabby chic et le Vert Véronèse d’une nature laissée faussement lâche se seraient données rendez-vous.

« À n’en pas douter, quelle que soit son appellation, cette Villa des Oliviers et toutes les autres à venir sur ce domaine (...) formeront un jour un lieu légendaire »

Régalé par cette promesse, on passera plus facilement sur l’inadéquation du fond et de la forme de l’appellation « Jacques Garcia Resort », l’impossible mariage de ces noms qui semblaient encore appartenir à deux mondes différents et le risque de voir l’un se ternir au profit de l’autre. L’embêtant avec les grands hommes et les beaux esprits, c’est qu’ils oublient souvent, trop occupés à construire leur gloire et à installer leurs rêves de grandeur sur terre, à l’instar d’un d’Annunzio ou d’un Des Esseintes, de se rendre intelligible pour le commun des mortels. Sommes-nous en droit de les blâmer ? Assurément non. Depuis quand les mortels se rebelleraient contre les dieux et leurs progénitures ? Jacques Garcia est de cette étoffe-là, aussi révéré que craint ou détesté pour ses réalisations qui ne laissent jamais indifférent, contrairement à tant d’autres. À l’inverse de l’homme de lettres italien, il ne fera pas, là, un mausolée digne d’un roi étrusque qui veillerait à s’enfuir avec ses trésors mais, au pire, un testament de son goût, au mieux, une œuvre d’art total. À n’en pas douter, quelle que soit son appellation, cette Villa des Oliviers et toutes les autres à venir sur ce domaine, au nombre de dix, formeront un jour, d’ici deux ans selon l’architecte du principal intéressé, un lieu légendaire.

Comment pourrait-il en être autrement ? Si d’Annunzio était un poète décorateur, Garcia est tout l’inverse, un metteur en scène émérite et poète à ses heures. Le plus narratif de tous nos décorateurs, le dernier des excentriques avec Vincent Darré peut-être, dans la droite ligne des Tony Duquette et consorts, a choisi de peupler, à coups de moulages, citations, renvois, drapés et empilements, les moindres recoins de cette ancienne oliveraie pour en faire un palazzo qu’un tableau de Klein au bleu irréel ou d’Armleder aux coulures larmoyantes se charge vaguement d’ancrer dans le monde d’aujourd’hui. Il y a bien aussi ces portraits dédiés à la gloire du maitre de céans à peine masqués par d’habiles effets de sfumato ou de bandes de scotch le consacrant étrangement à la postérité comme une momie sous ses bandelettes, pour apporter une certaine touche de modernité à l’ensemble mais pour le reste et jusque sur les terrasses parsemées de palmacées et succulentes plantées dans des cascades d’amphores et autres vestiges. Aucune des cinq chambres ou suites pour quatre d’entre-elles ouvertes sur cette nature échevelée n’échappe à la règle de l’accumulation à l’esthétique typiquement fin de siècle tenant parfois plus d’un bricolage aussi délicieux que poussiéreux où les livres d’études côtoient sur les murs, dessins préparatoires de ballets et costumes de théâtre des années 50, photographies géantes et huiles aux sombres empâtements.

« Fidèle à l’esprit baroque, inattendu et excentrique, le chantre de la beauté a façonné les lieux pour être le reflet exact de son érudition et d’une dévotion feinte ou réelle »

L’on pourrait continuer sans fin à faire l’exégèse de ce décor tantôt liturgique tantôt cosmogonique ou l’énumération d’un mobilier par souvent signé à l’instar d’une table à jeu et de chaises de Jean-Michel Frank ou de vases d’Hubert le Gall surmontés de couronnes de plumes. Fidèle à l’esprit baroque, inattendu et excentrique, le chantre de la beauté a façonné les lieux pour être le reflet exact de son érudition et d’une dévotion feinte ou réelle. Même débarrassées de leurs pierreries, ces tortues chères à l’un comme à l’autre de ces décadents, celles que le poète italien appelait « Cheli » et que l’on retrouve sur les margelles d’un bassin de nage semi-olympique cerclé de pierre blanchie, ne parviennent pas à faire oublier que chaque relique, chaque pierre amassée, chaque débris résonne ici comme une pierre aussi glorieuse que précieuse. Ainsi, dans cette chambre qui rappelle celle du Lépreux que d’Annunzio avait conçu à la seule fin d’exposer un jour sa dépouille, on ne peut que pénétrer religieusement et hésiter quelque peu à grimper sur ce lit de parade en chaire à prêcher et surmonté de voiles de lins blancs rassemblés en cascade comme des limbes, d’autant qu’une croix brodée de fil d’or et un ancien chemin d’autel liturgique à décor de rinceaux verdoyants monté en tête de lit se proposent de veiller sur les songes. Et même quand la mise se veut plus simple, préférant un lit à la polonaise, en alcôve ou une simple méridienne en guise de couche, aucune autre chambre ne se dépare de cet esthétisme stupéfiant et avouons-le ô combien unique. Avec, au grand salon, des sols de mosaïque qu’on imagine excavés des ruines de Pompéi et présentés sous des dalles de verre éclairées le soir, on s’étonne presque de ne pas retrouver les plafonds de la chapelle Sixtine dans ces salles de bains de campagne dont les douches restent la seule concession à l’époque moderne. Elles sont toutefois le théâtre d’une débauche d’effets entre art africain, gloire baroque et glamour des années 50 dont Audrey Hepburn serait l’héroïne, prêtant son joli minois à l’une de ces armoires paravents faites sur mesure et célébrant l’art déco français. Colonisées elles-aussi par mille objets, elles n’ont pas encore trouvé les standards qu’exigeraient un resort qui voudrait tenir son rang avec des produits d’accueil bien calibrés, idem pour la cuisine, loin d’être fonctionnelle ou aux normes attendues dans les villas de cette catégorie, cédant aux caprices décoratifs d’un homme qui n’a surement jamais eu à y faire grand-chose, laissant le soin à un membre du personnel de préparer quelque repas d’ascèse. Draps et serviettes n’obéissent pas plus à une quelconque standardisation. Faits de gros lin d’époque ou d’éponge rugueuse, sentant encore l’assouplissant comme le poids des ans, ils ont le charme des maisons de famille, de ces maisons à soi. Réserver aujourd’hui au Jacques Garcia Resort, c’est habiter l’une d’entre-elles, celle d’un parent esthète et pas n’importe lequel, qui l’aurait mis à disposition pour un temps et dont on en oublierait le prix (de 4.200€ la semaine en basse saison jusqu’à près de 10.000€ au cœur de l’été sicilien) par respect de cet illustre pédigrée.

« Contrairement aux apparences, cette maison rouge sait aussi se faire simple à vivre »

Contrairement aux apparences, cette maison rouge sait aussi se faire simple à vivre et se tenir encore à distance de la synesthésie qui prévalait chez le héros de J. K Huysmans. On ne trouvera donc pas d’orgue à bouches ou d’organe des liqueurs caché quelque part mais bien ce vent s’amusant à aller et venir dans les rideaux, quand le soleil darde au dehors sous les canisses et que les siestes s’étirent à l’ombre de chambres tabernacles, ce silence à peine troublé par les jappements étouffés de quelques chiens au loin, le chant assidu des tourterelles et des coucous, le vol hardi de papillons et d’abeilles comme la course sans fin de lézards sur des murs cramoisis. En attendant l’arrivée des prochaines maisons, encore en travaux mais dont on connaît déjà les noms, d’un spa, d’un restaurant et de tous les éléments constitutifs d’un resort dont un service idoine, l’on pourra profiter pour quelques temps encore de cette parenthèse hors des modes dans l’unique et bien-nommée Villa des Oliviers, là où la vie s’écoule de manière douce et fort élégante.

Mots : Patrick Locqueneux

Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier

resort
resort

À partir de 600€/nuit • la villa de 5 chambres

 
villa-des-oliviers-jacques-garcia-mrtripper-30.jpg
villa-des-oliviers-jacques-garcia-mrtripper-29.jpg
villa-des-oliviers-jacques-garcia-mrtripper-73.jpg
villa-des-oliviers-jacques-garcia-mrtripper-8.jpg
Précédent
Précédent

Back from… Hôtel du Cloître

Suivant
Suivant

Back from… The Ned