Back from… Amanbagh
Entre nature et architecture !
Bagh, Khas, Pulo, Puri, Ruya, ce sont par ses syllabes un brin sibyllines que les initiés les appellent entre eux. Une familiarité pas si anodine quand on sait le degré d’intimité qui les lie avec chacune de ces propriétés aujourd’hui au nombre d’une trentaine à travers le monde. En dépit de connaitre encore chacune d’entre-elles, il en est une très chère à notre cœur parmi toutes celles déjà passées en revue ou en passe de l’être : Bagh pour Amanbagh. Peut-être parce que l’histoire de ce blog y est née, il y a plus de 3 ans déjà, quand rien ou presque ne rendait alors compte de ces lieux restés cachés du plus grand nombre et parce qu’assez naturellement est venue la confirmation que s’il ne devait y avoir q’un hôtel, qu’un lieu à retenir parmi tous ce serait sans doute celui-ci, tant Amanbagh porte en lui tous les rêves d’Ailleurs.
À l’heure où chaque magazine ou n’importe quelle association remet ses récompenses et tente les classements les plus improbables du meilleur ceci ou du meilleur cela, animé le plus souvent par de banals enjeux commerciaux ou par la facilité de la nouveauté, nous aimons à prendre le risque d’y nommer un hôtel qui ne date pas d’hier, dont la décoration n’obéit plus vraiment aux critères du jour et dont l’architecture répétitive a sans doute fatigué plus d’un œil par le passé. Sauf que les fameuses colonnes et enfilades chères à Ed Tuttle, l’un des architectes stars d’Aman, trouvent ici, au même titre qu’à Amanzoe, Amanjena ou Amanjiwo, ses autres réalisations pour la marque, un écrin naturel comme une légitimité historique implacables. Quiconque se trouvant au pied de ce palais rose ou à l’un de ses balcons éprouvera ce sentiment d’absolu, cette sensation merveilleuse de pouvoir jouir de l’exclusivité, de l’espace, du calme, de l’histoire, de la beauté et de l’élégance en un seul lieu, qui plus est magnifiquement architecturé. Pas de mer changeante pourtant, ni de bleu extravagant en dehors de celui du ciel, seuls ces dégradés de couleurs de lin ou de bisque surlignés d’albâtre ou de jais rafraichis par le vert de gazons parfaitement taillés, enchâssés dans les reflets virides des collines environnantes ou gravés dans le marbre vert des Indes formant les piscines et les baignoires de ce palais à nul autre pareil. Faire le choix d’Amanbagh, c’est s’en aller à la rencontre de cette Inde universellement rêvée ou fantasmée, celle des palais moghols insensés et des jardins paisibles et en revenir chahuté jusqu’aux tréfonds du coeur, ému aux larmes et condamné à y revenir, forcément.
Dans ce Rajasthan qui l’héberge et autour de Jaipur sa capitale, il y a bien sûr d’autres palais, plus vastes, plus anciens ou plus beaux peut-être mais le jour du départ, aucun d’entre eux ne pourra donner, non pas l’illusion, mais bien la certitude de quitter à la fois une maison et une famille hors du commun de plus de quatre cents membres. Balveer, Santosh, Rohit, Pradeep, Satitri, Raghuveer, Amit ou même Karin, leur nouvelle mère à tous et accessoirement sémillante maitresse des lieux, ne sont pas de simples prénoms jetés en l’air. Pour tous ceux qui les ont connus, ils sont bien plus que cela. Parions d’ailleurs qu’à leur seule évocation, quelques uns se laisseront submerger par l’émotion. Ces regards avides, ces mains tendues, ces accolades bienveillantes réchauffent encore, bien après le retour, les cœurs à distance. La cérémonie d’adieux, dont un candide cliché envoyé quelques jours plus tard ravive malgré tout les couleurs éclatantes abandonnées là-bas, laisse toujours comme dans ces petites cuillerées de sucre et de yaourt, symboliquement administrées et qui ont fondues trop vite sous la langue, un goût de trop peu tout comme le fragile et dernier chant des Sari Girls qui s’élève à cet instant dans le hall vaste et sonore comme une cathédrale et dont on ne connaît pas d’enregistrement. Quel dommage tant les psalmodies de cette escouade d’hôtesses merveilleuses vêtues de leurs saris safran rebrodés au fil d’or ont à voir avec l’éternité et le divin.
Il nous reste, heureusement, pour se souvenir au retour, les ragas virtuoses à l'image de ceux d’Hariprasad Chaurasia automatiquement joués sur les enceintes des suites et villas qui composent ce resort qui n’a de resort que le nom et dont Balveer (l’un des chauffeurs de la maison dans les mains duquel on remet volontiers son destin sans sourciller) aura toujours pris soin de prendre un exemplaire à bord d’une des Jeep Mahindra, dans sa version ancienne ou contemporaine. Ces enregistrements qui viennent frapper à la porte de la mémoire en de mélodieux rappels restent indissociables des lieux et de cette Inde parcourue au détour d’Amanbagh. Que l’on gagne ce comté d'Alwar directement de Delhi, que l’on fasse l’école buissonnière en chemin via Agra, Fatehpur Sikri ou Abanheri ou que l’aéroport de Jaipur, situé à un peu plus d’une heure, marque le point de départ de cette odyssée rajput, on fait à chaque fois la même expérience de la route, de ce moment de l’intime et du grandiose où l’émotion guette à chaque regard passé à travers la vitre, où le sourire puis l’habitude finissent par accueillir les soubresauts et les ralentissements intempestifs confortablement calés par les oreillers que, selon un technique éprouvée, l’on ne manque jamais de plaquer sur son ventre.
L’on pourrait longtemps disserter sur ces routes sans égales ou l’art du voyage selon Aman dans le confort de ces voitures assurant transferts et excursions ici presque infinis tant il est donné à voir aux environs d’Ajabgarh, le lieu-dit où se cache Amanbagh. Les asanas matinales dans la quiétude de la ville fantôme de Bangarh, les pique-niques en barque sur les rivages éthérés du lac Somsaghar, les diners sous les chatris à la lueur des chandelles, les safaris au parc de Sariska, les excursions aux villages voisins dont Aman veille discrètement au développement ou celles plus lointaines vers la ville rose et ses chefs d’œuvre ne comptent que pour partie dans le bréviaire des réjouissances inoubliables aux alentours. Si « le voyage est le printemps du cœur » selon le proverbe hindi, celui qui mène dans ce cœur du Rajasthan, et plus particulièrement à Amanbagh, vaudrait bien pour toutes les saisons, mousson comprise.
Car Amanbagh, n’ayons de cesse de l’affirmer, se veut la halte incontournable de tout périple indien au même titre que le camp aux tentes très superlatives d’Aman-I-Khas, l’autre adresse signée Aman dans la région qui complète ce fameux triangle d’or du Nord Rajasthan et l’offre très exclusive Aman Journey. Il faut, de manière impérative, emprunter un jour les derniers kilomètres de ce chemin chaotique trouvant sa fin dans la touffeur verdoyante de l’ancien terrain de chasse du Maharadjah d’Alwar et se retrouver pris au piège de ses contreforts, en proie à une hallucination admirablement orchestrée. Transperçant le cœur comme il est lui même littéralement traversé en son centre de palmiers dattiers géants, ce jardin de paix (Aman-Bagh en sanskrit) paraît n’avoir pu être créé que par la main de Dieu ou tout du moins légué par l’héritage millénaire des Rajputs. Il faut se pincer à plusieurs reprises pour se convaincre du contraire. Car ce palais rose, dont on ne peut se lasser d’admirer des balcons de pierre ouvragés les proportions et les dômes émergeants de la végétation, n’abrite sur ses 20 hectares que 40 chambres harmonieusement réparties en 24 Haveli Suites et 16 Pavillons dotés de piscines privatives à l’abri desquels le rêve trouve une parfaite continuité, a bien été bâti de toutes pièces en 2005. À aucun moment d’un séjour à Amanbagh ne viendra se briser l’illusion de vivre en dehors du monde, du temps et de ses torpeurs. La place est réservée ici aux songes et à la contemplation, à l’âme vagabonde.
Ni le jeu de singes parfois téméraires, ni l’envol d’escadrilles de colombidés dans le ciel ou les braillements de paons ne peuvent en troubler l’infinie quiétude. Tout juste entendra-t-on les mélopées presque irréelles du sage Raghuveer (l’artiste en résidence) tapi dans un recoin du palais y accordant l’un de ses instruments fétiches ou le tintamarre s’échappant d’un véhicule de fortune ou d’un de ces camions bigarrés croisant au loin sur cette route de pèlerinage. Certes, il y aura bien de temps en temps, au lever du jour, le bruit doux et rassurant de balais faits de rameaux dans les volées d’escaliers conduisant aux terrasses ou l’imperceptible cliquetis de tondeuses manuelles dont l’herbe récoltée sera harmonieusement arrangée et combinée, le soir venu, avec les traditionnels pétales de roses rouges ou de soucis orangés, ces fameux manigold, pour guider entre les lampes à huile les pas de convives invités à s’attabler sur l’une ou l’autre des dites terrasses ou à l’abri d’un de leurs romantiques chatris. Difficile de trouver plus belles images que celles de ces diners merveilleux au son des tablas et des cithares ou celles encore de ces femmes de chambre parées de saris multicolores traversant les pelouses manucurées plus habituées au va et vient de jardiniers dont les jodhpurs immaculés, les kurtas impeccables et leurs turbans sans fin suscitent autant la convoitise que les plus beaux exemples d’artisanat local rassemblés en sa boutique. Face à tant de beautés et de richesses, Amanbagh n’est rien d’autre qu’un rêve éveillé, conçu pour plaire à ses invités transformés en princes d’un jour. Comment en irait-il autrement au contact du parfum de ces lys blanc assemblés dans des vases d’argent posés sur un mobilier de pareille facture ou taillé dans la pierre, à la vue en salle de bains de ces flacons tout aussi argentés et surmontés de quartz ou de ces fioles d'onguents sculptées dans le même marbre vert des Indes que ces baignoires d’un seul bloc posées sous des dômes à la hauteur vertigineuse. S’y relaxer est un plaisir que seuls lui disputent les longueurs alignées dans l’agrément de son propre bassin extérieur ou dans la sérénité d’une des deux piscines principales se faisant face dans une succession de péristyles s’y reflétant à l’envi.
Objet de contemplation ou terrain de jeux entre nature et architecture, Amanbagh ne manque pas de ressources et chaque jour y sert de prétexte à une nouvelle fête des sens. Après le regard, le palais en est surement le plus sollicité tant la cuisine simple et savoureuse, pour beaucoup végétarienne voire végétalienne et dont la plupart des produits proviennent du potager bio, sert de référence. Les cours de cuisine qui y sont donnés constituent avec les cures d’ayurvéda dispensées dans l’intimité du spa, deux autres raisons supplémentaires de ne pas passer à côté de ce grand hôtel qui n’a de grand, là encore, que la beauté de son âme et son incommensurable capacité à tricoter des souvenirs pour la vie.
Mots & images : Patrick Locqueneux
À partir de 780€/nuit
Accueil personnalisé • surclassement, early check-in et late check-out selon disponibilité • petit déjeuner • 100$ de crédit