Back from… Amangalla
Incontournable Amangalla !
Il y a des hôtels pas comme les autres et forcément des Aman qui ne ressemblent à aucun autre. Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser d’ailleurs, il n’y a pas un Aman mais bien des Aman. S’il y a bien un style, une idée, un dénominateur commun qui préside à l’ensemble, chacun d’entre eux se veut différent tout simplement parce qu’ils sont tous profondément attachés à leur environnement, qu’il soit naturel ou urbain comme dans le cas présent. Le changement récent de l’enseigne passé d’Amanresorts à Aman tout court, n’aura rien gommé de cette pluralité et de leurs réalités individuelles, elle aura tout juste tenté non sans succès d’affirmer sous cette sobre bannière un univers pour beaucoup inaccessible et pour le moins indéfinissable.
Si beaucoup d’hôtels gagnent en personnalité et que certains font preuve d’esprit, d’autres comme chez Aman ont une âme. Indéniablement, Amangalla ou Galla pour les intimes se réclame de ceux-là. J’ai toujours pensé, bien avant tout le monde, qu’un hôtel faisait la destination et inversement qu’une destination se devait de faire l’hôtel dans un jeu de réciprocité bienveillante. Aman Sri Lanka n’échappe pas à ce principe. Amanwella comme Amangalla sont les deux faces d’un même pays ouvert sur la mer et façonné par des cultures successives, mais s’il ne fallait en retenir qu’un, si la visite de l’ex-Ceylan ne devait se résumer qu’à un lieu, inévitablement Amangalla serait celui-ci. Tout d’abord parce que sa localisation dans l’ancienne Galle, classée au Patrimoine Mondial de l’humanité s’avère remarquable à plus d’un titre. Non content d’en être le cœur géographique, il en est également l’épicentre social, ce lieu où tout semble vouloir converger et d’où tous les chemins paraissent partir.
Dans ce parfait exemple de ville fortifiée fondée par les Portugais puis tour à tour colonisée par les Hollandais et les Anglais, les promenades cueillies dans la fraicheur du matin ou dérobées au clair de lune en dehors du flot de touristes ont une saveur particulièrement exquise et un goût d’interdit. Quel privilège que de demander à ouvrir à l’aube la lourde porte de bois de la maison pour se faufiler, au son des mélopées du temple voisin et dans les pas des seuls écoliers vêtus de leurs uniformes immaculés, à la rencontre de ces vestiges d’une grandeur disparue, de la cathédrale Sainte Marie toute mitoyenne à la mosquée Meera en bord de grève d’un océan assagi.Si tout le monde se souvient encore des ravages causés ici par le tsunami de 2004, rien n’en rappelle aujourd’hui la violence. Au détour de ruelles au charme ravageur, les anciennes demeures coloniales aujourd’hui très prisées des occidentaux qui en ont sauvé le cours et devant lesquelles quelques véhicules d’époque sont encore garés, imposent plus que jamais par leurs proportions idéales. Les échoppes décaties et colorées de marchands d’antiquités, d’artisans, de bijoutiers ou de tailleurs de pierres, dont les vitrines exposent encore quelques saphirs de Ceylan n’ont rien cédé aux nouveaux boutique-hôtels et restaurants de charme qui éclosent çà et là. L’ancienne Galle n’a de cesse d’enchanter et même la ville dite nouvelle, à portée de tuk-tuk pétaradant, avec son marché aux légumes haut en couleurs ou celui aux poissons le long de la plage fait chavirer les sens et excite les papilles. En explorer les arcanes, entre vendeurs de betel et pourvoyeurs d’épices rares en compagnie d’un des chefs de l’hôtel, avant de partir préparer et déguster le déjeuner dans la campagne toute proche au cœur de rizières verdoyantes et d’un Eden ressuscité reste une expérience aussi exclusive qu’inoubliable.
Car Amangalla a beau exprimer derrière son architecture imposante et son service remarquable la quintessence du Grand Hôtel pétri d’urbanité, il n’en est pas moins tourné vers l’extérieur et connecté avec ses alentours. Que cela soit de ses larges fenêtres pivotantes en façade grandes ouvertes sur les acacias, l’agitation du dehors en contrebas et le ballet des tuks-tuks en journée, ou de ses fenêtres à l’anglaise orientées sur le jardin ou à l’étage dans l’or des derniers rayons sur les toits de tuiles rouges environnants, les clochers de la ville et la mer au loin sur laquelle on pourrait presque voir frayer les baleines, se forme l’image parfaite et impérissable de cet ex bastion colonial qui semble encore agir comme un dernier rempart contre l’horreur du Monde et nait la certitude que Galla et Galle ne font qu’un. Dans tous les Aman, mais curieusement ici peut-être plus qu’ailleurs, règne toujours ce sentiment d’exclusivité et d’invulnérabilité, chacun d’entre eux cherchant à dresser par différents moyens le plus souvent invisibles une sorte de membrane de protection autour de ses hôtes. Ici, l’extrême perméabilité avec le dehors, le fait de recevoir et d’encourager la visite d’hôtes extérieurs en ses salons, sa véranda ou son spa régulièrement transformé en galerie d’art, le statut d’icône touristique du lieu, au même titre qu’Aman Sveti Stefan ou Amanfayun eux aussi librement traversés, en altère parfois l’expérience pour celui qui ne voudrait jamais avoir à côtoyer la réalité du monde. Ainsi, le cérémonial de l’arrivée, moins formel car improvisé dans le hall de réception, y prend une tournure certes plus humaine mais plus commune aussi. Mais comment imaginer soustraire l’ex New Oriental Hotel dont les reliques trônent encore dans la bibliothèque-musée à la curiosité populaire ? Heureusement ses 30 chambres et suites, toutes différentes, remaniées à la perfection par le génial Kerry Hill sans rien entacher de leur style d’origine et de leur charme forcément unique ont gardé cette capacité à nous mettre à bonne distance du temps présent et comme toujours c’est dans leur intimité, ici de bois sombre et de murs de craie, que se joue la véritable cérémonie de l’accueil selon Aman, autour d’un thé glacé prestement servi par son butler.
Et même si comme dans toute maison que l’on voudrait pour sienne, leurs graciles portes de bois blonds resteraient bien volontiers ouvertes sur les longs corridors éclairés de bougies, ces tabernacles aussi vastes (de 40m2 à plus de 150m2) qu’élégants ont toujours pour mission d’abriter sous leurs hauts plafonds les songes comme les secrets de voyageurs élégants qui s’y succèdent depuis près de 150 ans. L’ancien Hôtel de feu Nesta Brohier dont le dernier membre de la famille occupe encore par intermittence la délicieuse Garden House blottie à l’ombre des bananiers géants, n’a rien perdu de son âme. Le temps semble s’y être arrêté avec une extrême bienveillance, lui épargnant les affres de la mode. Les lits coloniaux aux nobles montants, les armoires massives, les lavabos rétros, les bureaux à caissons, les larges chevets sur lesquels les grenades jouent aux natures mortes n’ont jamais paru aussi vivants et modernes que ces vastes baignoires émaillées où les majordomes aiment à disposer à la main, le soir venu, des centaines de fleurs de jasmin. Le plaisir d’un bain sur les frondaisons du jardin ou face à l’imposante silhouette de la Groote Kerke prend alors un doux parfum de liberté et de nostalgie mêlées. Par les fenêtres entrouvertes, dans le silence de la nuit, on en viendrait presque à entendre les doigts fébriles de l’auteur de « La maison de l’araignée » tapoter le clavier de sa machine à écrire. La petite histoire ne dit pas si Paul Bowles n’aurait pas délaissé un jour son île-rocher de Taprobane pour venir goûter ici au cosmopolitisme d’une ville de bord de mer qui lui aurait rappelé son Tanger d’adoption. Qu’importe, les nuits ont toujours ce charme inouï des volets mi-clos, des lumières tamisées, des lampes à huile, des draps raidis et frais, des tapis déployés ou des cadeaux glissés sous l’oreiller, des cartes postales anciennes aux marque-pages en feuille de palme peints à la main. Les sols en bois de jacquier ou de tek centenaires, eux, continuent bel et bien de craquer avec tendresse sous la pression des pas. Le bleu marine, des nappages aux assises en passant par les rayures des saris immaculés, reste l’éternelle signature quelque peu incongrue sous cette latitude de cet hôtel conçu en 1863 en les murs de l’ex VOC, la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales. Les ventilateurs du grand hall ou Zaal hoquettent inexorablement et leurs pales transpercent sans relâche l’air humide et chaud. Les régimes de thambili, noix de coco royales, ou de bananes cueillies dans leur verdeur ornent encore les pettagma joufflus dont les serrures précieuses rechignent à révéler leurs secrets. L’amoncellement d’argenterie ancienne rescapée et empilée dans les grands vaisseliers, entre théières et serviteurs muets y attendent gentiment l’heure du spectaculaire et succulent High Tea et de nouveaux convives tout comme le rutilant piano à queue, la myriade de tables volantes aux pieds joliment ouvragés, les enroulements de sofas cannés et les inclinaisons de fauteuils de planteurs aux bras allongés. Les pots de grès garnis d’alstrœmères qui ponctuent chaque jour de rose les tables dont le ballet continu des serveurs s’affaire à rectifier la mise pointent également et invariablement au rendez-vous, incapables de céder leur place même aux traditionnels chatti, ces jarres de terre cuite dans lesquelles sera servi le traditionnel Rice & Curry le soir venu.
Ils sont les derniers refuges d’un art de vivre oublié et longtemps préservé par la grande Olivia Richli, aujourd’hui remplacée par Audrey Schallhauser dans son rôle de maitresse de maison et aidée par le chef Sumit, de retour dans ses murs après une incursion à New York à Eleven Madison Park, rien de moins. Ensemble, ils veillent à ce que l’âme de cette vénérable maison perdure inlassablement et que d’autres Mahathmaya d’un jour continuent d’en recevoir les honneurs. Leur tâche est ardue et quelques détails, comme dans toute vielle maison, mériteraient bien encore plus d'attention mais tant que le parfum des parquets cirés du matin mêlé à celui des bouquets d'ornithogales et aux effluves de bois de cannelle, tant que le reflet des verres colorés et soufflés à la bouche, que les aléas du vent dans les stores remontés parfois à la hâte ou les clapotis des fontaines imprimeront la mémoire, l’ancienne Ceylan vivra et avec elle le souvenir de Geoffrey Bawa. L’illustre architecte qui a fait de l’architecture vernaculaire le support de sa modernité aurait lui aussi célébré, s’il avait pu, le travail effectué par son homologue australien et l’extension de cette piscine de près de 30 mètres flanquée de ses ambalamas ou pavillons de repos revisités avec talent dans lesquels on voudrait passer ses journées à se nourrir de fameuses fish balls ou croquettes sri-lankaises que les principes ayurvediques du docteur officiant sur rendez-vous dans les anciens Baths de la maison ne viennent heureusement pas contredire.
Avec le barbier disposant de sa propre échoppe au cœur du jardin, ces bains délicatement préservés et les cures de bien-être qui y sont dispensées sont en effet une des raisons supplémentaires pour ne jamais avoir à faire l’impasse sur Amangalla et y séjourner plus que de raison. Comme d’un fait exprès, les éclairés qui choisissent le package Fort et Beach Journey associant les plaisirs de Galla et de Wella se voient, à partir de 7 jours, offrir la demi-pension en plus des transferts inter-resorts, des petits déjeuners, d’un massage et d’une excursion à Mulgirigala. Manquer la grande dame de Galle ne peut donc décemment pas être considérée comme une bévue mais bien comme un impair incommensurable ! Un rendez-vous avec l'Histoire.
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux & Olivier Chevalier
À partir de 700€ /nuit
Petit déjeuner • 100 $ de crédit • surclassement selon disponibilité
early check-in & late check-out selon disponibilité • accueil personnalisé