Back from… Amanera
Inoubliable Amanera !
Les « bachatas » quotidiennes d’Anna Karen qui accompagnaient nos diners se sont tues depuis déjà fort longtemps, pourtant je me souviens encore de son élégant turban chaque jour différent, de ses doigts agiles pinçant les cordes de sa guitare, de son sourire bienveillant illuminant à l’arrière-plan la nuit noire constellée d’étoiles, tout aussi scintillantes mais bien plus lointaines.
Rien de ces nuits magiques ne m’a échappé, aucune seconde ne s’est dissoute, emportée dans les vapeurs de rhum ou de « Mama Juana », cette fameuse mixture de feuilles, bois séchés et herbes aux vertus médicinales macérés dans le rhum et le miel, pas plus envolée avec les volutes des cigares roulés à la main et allumés par le maestro Juan Alberto Martinez, sous les toits de tôle ondulée de son atelier restaurant de fortune éclairé à la lueur de centaines de bougies formant autant de lucioles éphémères. Je crois voir encore ces yeux rougis par la fête de son Babunoco, ces appétits rassasiés d’une cuisine familiale et colorée. Les éclats de rire qui résonnent encore dans ma tête me rappellent que dans cette escapade d’un soir et unique expérience, derrière l’apparente et austère grandeur d’un resort que l’on penserait clos et retiré du monde, centré sur lui-même, se découvre au contraire une République Dominicaine inconnue et pour le moins bénie.
Car ce pays, tout le monde pense le connaître. La simple évocation de son nom suffit d’ailleurs à faire se tordre bon nombre de nez et pincer tout autant de lèvres. Il n’inspire même pas l’habituelle compassion réservée à son malheureux et valeureux voisin avec lequel il ne partage qu’1/3 de cette ex-Hispaniola et aucun des tourments qui ne semble vouloir s’abattre que sur ce dernier. De cette terre messianique découverte par Colomb, il a hérité de toutes les richesses et de la douceur de vivre qui va avec. Avec 17 parcs nationaux blottis entre cascades et montagnes, bercés par l’Océan Atlantique et la Mer des Caraïbes, ourlés de plages de sable blanc, piqués de vestiges coloniaux et de cases colorées, garnis de plantations de tabac, de café ou de cacao, de champs de canne à sucre donnant le meilleur du cigare, du rhum ou du chocolat, la carte postale ne manque pas d’attraits ; attraits qui en ont presque causé sa perte, comme pour beaucoup de paradis terrestres à la merci d’une politique touristique expansionniste louable mais déraisonnable et à qui le temps finit toujours par donner tort. « Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse » nous rappelle le Roman de Renart. À multiplier les liaisons charters (pas moins de 8 aéroports internationaux) et privilégier les resorts en formule tout inclus drainant sur ses côtes tout touriste en mal d’exotisme, l’île aux multiples trésors était ainsi sorti des radars jusqu’il y a peu, jusqu’à ce que ce nord, toujours délaissé comme dans la plupart des îles, vienne redonner quelque verdeur et intérêt à l’ensemble. Si l’on enrage de voir pareille histoire se répéter presque inévitablement dans le monde, on exulte tout autant de savoir les lieux renaitre au profit de nouvelles ouvertures et d’initiatives souvent courageuses. Il y a quelque chose de merveilleux à cela, d’assister à la renaissance de lieux oubliés qui semblaient condamnés ou perdus. À l’image de ce golf voulu par Trent Jones père puis redessiné par le fils, savoir ce bout d’île revitalisé, réinvesti au propre comme au figuré réjouit… tant qu’on oublierait presque d’en parler. Peut-être comme Colomb en son temps, son premier explorateur, il y eut cette vaine tentation de garder pour soi ce Nouveau Monde longtemps désiré et appréhendé il y a près d’une année déjà. Aujourd’hui, le secret de la Costa Verde n’en est plus un, les cigares de Juan Alberto créés pour le compte de la maison s’en sont allés de par le monde, parfumer les autres Aman et vanter les charmes de sa Playa Grande. D’un côté, le village de pêcheurs aux embarcations colorées de Rio San Juan comme la célèbre lagune Gri Gri, d’où ils s’élancent vers le large et où frayent au printemps les baleines, ont connu quelques nouveaux admirateurs, de l’autre, Cabarete, berceau du Kite, a sûrement gagné d’autres afficionados mais c’est surtout dans la proximité immédiate des quelques 800 hectares de forêts, plages et parcours de golf de cet Amanera que les amateurs de randonnées à travers la jungle, de ballades sur la plage et d’un art de vivre en communion avec la nature ont trouvé, depuis, de quoi se réjouir !
J'aime à dire qu'un hôtel fait une destination et réciproquement. Amanera ne fait pas exception à cette règle et comme tous les resorts de la marque, que là encore certains voudraient voir comme des thébaïdes aussi modernes qu’aveugles, n’a pas oublié avant de créer ce cocon ou la laideur du monde est toujours exempte de prendre le meilleur de ce qui lui était donné autour, de le laisser infuser et distiller en chaque chose. On croit souvent à l’absence de perméabilité entre le « dehors » et le « dedans », à ces trop nombreux hôtels qui imposent partout leurs normes avec la même morgue, il en est d’autres qui comme Aman, même s’ils ne vous conduisent pas à marche forcée vers l’extérieur, ne l’interdisent bien évidemment pas mais savent surtout en exsuder tous les charmes à l’intérieur. Pour son premier resort golfique, Aman n’a ni démérité ni transigé avec cette philosophie. Les seules 25 Casitas, certes bientôt rejointes par un vaste plan de résidences, qui en forment l’arc entièrement tendu vers l’océan ont tenu leurs promesses de s’intégrer à la perfection dans la nature. Et si, à leur ouverture quelque peu précipitée, certains aléas climatiques eurent raison de la végétation les isolant les unes des autres, il est aujourd’hui à parier que la jungle environnante a repris ses droits, colonisant chaque mètre carré de ces jardins abritant, pour moitié seulement, d’idéales piscines privatives à débordement et pour deux d’entre-elles un point de vue aussi vierge que spectaculaire. L’Amanera Casita ou la Bay View Casita de 2 chambres n’ont cependant pas grand chose d’autre à envier à leurs modestes voisines développant déjà à l’abri de leurs immenses baies coulissantes quelques 76m2 et un peu plus de 150m2 au-dehors d’un paysage typiquement caribéen délicieusement planté de palmacées en règle. Ce sont d’ailleurs leurs répliques, parmi d’autres réminiscences vernaculaires, bardées de cordes, élancées et fuselées comme des cigarillos que l’on retrouve rythmant les façades et soutenant des toits aplatis pour ne rien laisser deviner des rêves qu’ils abritent.
John Heah, qu’on avait aimé à Bali avec l’imposant et néanmoins remarquablement intégré Four Seasons de Sayan a livré ici avec ses équipes et notamment avec sa divine collaboratrice Delfina Giannattasio un travail formidable bien qu'encore incomplet et imparfait de son propre aveu. D’autres aménagements devraient ainsi se succéder au cours des prochaines saisons, de nouvelles piscines se créer ou le spa -petite ombre au tableau- se refaire déjà une beauté. Le perfectionniste qu’il est, capable d’encapsuler au sein de villas pourtant ô combien parfaites chaque câble ou chaque prise électrique dans des chevets défiant les lois de l’assemblage, se plait à confier, et on ne peut être plus d’accord avec lui, ne pas voir d’intérêt à concevoir des lieux comme des éléments que chacun pourrait déjà retrouver chez soi. L’hôtel en général et un Aman a fortiori ont pour mission de dépayser, de donner aussi bien matière à réfléchir qu’à désirer. Son travail sur la ductilité du bois de Guayacan, son intégration dans des panneaux de béton brut, la juxtaposition de son mobilier anguleux et facetté avec la pureté éclatante du marbre décliné jusque dans des tables d’appoint et autres luminaires extérieurs dans des proportions et un nombre démesurés, les aplats de bleu azuréens comme les inserts de couleurs vives ponctuant tapis et coussins, les ouvertures ménagées de toutes parts sur le vert de la nature, les bassins et ponts suspendus dans les airs ne sont pas là pour faire de la figuration. C’est une Caraïbe modernisée, spectaculaire et inédite qui se donne à voir ici, loin du genre ayant cours dans les bungalows non moins charmants du Playa Grande Beach Club concomitamment ouvert à quelques kilomètres de là sur la baie par Celerie Kemble, une Caraïbe foncièrement joyeuse, volontiers frondeuse et évidemment colorée bien incapable de se dérober à la mémoire.
Il est des sentiments comme des couleurs difficiles à affadir ! Amanera n'échappe pas à la règle. Le bleu qui se décline ici dans des nuances infinies vire à l’obsession. Heureusement teinté d’or le matin dans le ballet d’embruns naissant sur la baie en contrebas et dans les flots desquels on aime à chahuter inlassablement, il en devient pour un temps plus digeste avant de laisser place à l’incendie du rose le soir venu, mais entre les deux, il faut faire face à sa déferlante hypnotique que le blanc du sable ou du marbre rendent encore plus intense. L’heureuse punition s’avère donc la même pour celui qui hésiterait entre l’infinie piscine en surplomb de la falaise et l’immensité de la plage une vingtaine de mètres plus bas comme entre l’un ou l’autre des deux seuls restaurants se partageant le territoire de ce resort réservé à ce jour aux seuls bons plaisirs de 50 élus triés sur le volet, amateurs de golf ou pas, mais assurés dans un cas comme dans l’autre, de goûter à une cuisine aussi réjouissante que le paysage duquel elle s’inspire.
Comme toujours avec Aman, la satisfaction des plaisirs ne passe pas par la multiplication des restaurants comme autant de tentations mais par l’évidence d’une carte mixant avec à propos, comme ici, influences caribéennes, mexicaines et italiennes supervisée par des personnalités toujours attachantes à l’instar de Graziano Greco, le très charmant F&B Manager, ou Roco Bova, le si sympathique General Manager, tous deux à même de veiller à la qualité des produits et des recettes offerts sur le principe d’une table de partage. Laura Fraefel ou Berenice Olmedo Valencia, parfaites hôtesses des lieux, y sont d’égale et délicieuse compagnie qu’on ne quitte, comme l’ensemble des sourires composant cette famille d’adoption, qu’avec infiniment de regrets. Car peut-être plus encore que cette nature exubérante qui dévale les montagnes, que ces flots intrépides balayant les rivages, c’est la légendaire jovialité de ces descendants Taïnos qui réjouit et fait un petit nœud au fil des souvenirs, bien difficile à défaire. Inoubliable Amanera !
Mots & images : Patrick Locqueneux
À partir de 1.336€/nuit
Surclassement selon disponibilité • early check-in & late check-out selon disponibilité • 100$ food & beverage credit • petit déjeuner • accueil personnalisé