Back from… Sao Lourenco do Barrocal
Immanquable Sao Lourenço de Barrocal !
Autant l'avouer d’emblée, ce fut le coup de cœur de l’année dernière, la très bonne surprise, pressentie dans l’idée mais plutôt inattendue par son ampleur, un peu comme un cadeau qui aurait comblé bien au-delà de la simple attention, toujours bienvenue. Ce cadeau a pour nom Sao Lourenço do Baroccal, un lieu, une histoire, un rêve, une vie presque impossible à résumer ou à décrire.
Avec près d’un millier d’hectares, 200 ans d’histoire, l'impressionnante propriété agricole tombée autrefois en ruines et aujourd’hui dotée de 50 vastes chambres réparties dans ses anciens corps de ferme donne autant le tournis qu’elle fait chavirer les cœurs, qu'importe l'option d'hébergement choisie, de proportion et d'agrément équivalents. Emprunter pour la première fois l’allée séparant les deux bâtiments principaux de ce domaine fraîchement chaulé de blanc et enfin couvert des centaines de milliers de tuiles qui lui ont longtemps fait défaut impose. Ses pierres minutieusement alignées et chauffées par le soleil au zénith semblent attendre en son point de fuite un quelconque dénouement, quelque chose de grandiose et de tragique à la fois. L’ombre de bancs désertés et esseulés, appuyés sur les façades de craie, le cliquetis des lampes en zinc se baladant suspendues au gré du vent rappelleraient volontiers ce village figé dans la torpeur que fit revivre Francesco Rosi dans son adaptation du roman de Gabriel Garcia Marquez, Chronique d’une mort annoncée. Pourtant aucun malheur ne se profile dans cet horizon d’azur bien au contraire, c’est un bonheur intense et solaire qui accueille le visiteur de cette nouvelle et incontournable villégiature, qui s’en va lui étreindre le cœur et dessiller les yeux fatigués par la ville, lui rappeler les joies de l‘enfance et des premiers jours, ces moments d’innocence où l’on s’en va justement le cœur léger et en bandoulière à la découverte du monde extérieur. Les arcanes de pierres d’anciens corrals à bestiaux, les gradins étagés des arènes d’autrefois, les silos abandonnés aux silhouettes tutélaires, les abreuvoirs devenus bassins aux eaux étales, les mégalithes millénaires hérissés ci et là jusqu’aux contreforts d’un bassin de nage à fleur de prairies forment autant de territoires d’exploration que de refuges éphémères d’une faune et d’une flore pour apprentis botanistes ou entomologistes. Partout, au détour de cette architecture remarquable et vernaculaire, la nature donne rendez-vous, évidente et insolente. La carte postale n’est jamais loin. Elle ne se contente pas seulement d’être exhumée des archives de famille pour s’exposer avec mille autres souvenirs jaunis, savamment punaisés ou assemblés sur ces murs ressuscités. Sans surprise, les cheptels paissent alentours, les chevaux tournent au manège en attendant d’être montés, les grégaires cigognes occupent leurs nids sur le faîte des toits, papillons et lapins virevoltent ou détalent dans ces champs de fleurs sauvages, la symphonie pastorale trouve à Barrocal une nouvelle expression. Que cela soit au sein de sa boutique conçue comme un conservatoire de l’art de vivre portugais, sur les cimaises de son restaurant à la recette aussi simple que délicate menant de la ferme à la table, dans la collection de faïences de la région patiemment chinées une à une ou dans les flacons de verre renfermant les plantes précieuses des élixirs élaborés par Suzanne Kauffmann pour ce premier spa en dehors des montagnes austères de son Bregenzerwlad natal, tout exhale le charme de la campagne et du temps qui l’accompagne.
Ce temps béni où les vélos se jettent à la hâte dans les herbes folles, où les paniers d’osier et les nappes à carreaux donnent aux pique-niques un air de fête, où les opinel se partagent les joies de la nature et des nourritures. Sao Lourenço do Barrocal vit intensément de ces moments où l’on caresse le temps, où les journées s’étirent en terrasses, où les apéros s’improvisent sous les canisses. Il peut être fier de lui ! 17 ans qu’il murit son projet, ce projet d’une vie, qu’il aura la fierté de léguer à son tour à ses enfants. Là où ses ancêtres auront échoué à conserver leurs biens, lui aura réussi à les ramener à la vie et à les rendre encore plus beaux qu’ils n’ont jamais été. Lui, c’est José Uva à ne pas confondre avec José Cunhal, son homologue et néanmoins ami de L’And Vineyards, tout aussi visionnaire et pionnier dans cette faculté à réinventer son patrimoine, sa région comme son Portugal natal. Cet Alentejo et ces enfants portent en eux cette chose formidable, cette leçon qui devrait être faite, non seulement en Europe mais de par le monde aussi à ceux qui n’ont de cesse de vouloir importer leurs modèles tous faits et les recettes qu’ils pensent universelles ! Nous ne leur dirons jamais assez : faites avec ce que la terre et l’histoire vous ont données ici et maintenant, là se tient la vérité d’aujourd’hui et a fortiori celle de demain ! Soyez créatifs à faire revivre ce qui vous entoure plutôt qu’à réinventer la roue, ne cherchez pas la nouveauté pour la nouveauté, ne courrez pas après l’inédit, ne suivez pas plus vos clients dans leurs désirs par nature sans limite, dites-vous qu’ils ont autant à apprendre de vous et même s’ils ne le savent pas tous, ils attendent que vous leur montriez la voie, que vous les initiez à ce que vous êtes, à ce que vous voulez dire ou défendre, ils sont à votre écoute, ne leur offrez pas ce qu’ils pensent vouloir, étonnez les plutôt, surprenez les non pas avec ce qu’il y a de plus beau ou de plus cher mais avec ce qui fait du sens, avec l’évidence de votre propos. José, lui, sait tout cela et bien plus encore.
Il suffit de le voir s‘émouvoir, s’emporter, vous embarquer sur le chemin qu’il s’est tracé pour comprendre que ce polyglotte diplômé d'Harvard a touché du doigt, il y a déjà bien longtemps, une vérité qui ne s’est jamais dérobée depuis. Cet homme qui rêve plus grand que les autres, est proprement habité par les lieux, par leur histoire qui n’est autre que la sienne quand lui, enfant, en avait déjà fait son repaire et le centre de toute son attention. Tous ses souvenirs depuis le premier jour jusqu’à aujourd’hui sont là, entre ses mains, sous ses ruines qu’il a ressuscitées avec force patience et évidemment un peu d’argent mais un argent qui ne se voit pas. À Sao Lourenço de Barrocal, les robinets ne sont pas d’or, pas plus que les baignoires de marbre. Pourtant, la ductilité des carrelages irréguliers, les briquettes de terre cuite chauffées par le sol, le moelleux des éponges immaculées, les lins froissés des fauteuils ou des canapés, les teintes sourdes et douces de meubles de bois peint, les incontournables draps de coton égyptien ou les oreillers en duvet ne laissent aucune place à l’inconfort. Qu’importe les quelques sacrifices à la modernité, plus ou moins nécessaires, que sont minibar, machines Nespresso, télévisions grand écran, prises usb, wifi et bluetooth ou radios Marshall qui nous rappellent l’étrange parenté des lieux avec les Soho House de Nick Jones, à Sao Lourenço de Barrocal, rien ne vient entacher cette idée d’un temps retrouvé. Ils ne sont vraiment pas si nombreux, ceux capables d’attendrir, de ravir ou de surprendre par la justesse ou l’évidence de telles propositions. Il est bien difficile de ne pas vibrer avec José et ses pairs car ils portent en eux une chose rare et noble, la foi en autre chose, en un monde et un ailleurs meilleurs, rien de révolutionnaire, juste cette croyance en l’essentiel, la terre, le temps, l’amour, les bonnes et forcément belles choses, fidèles à ce précepte antique qui veut que le bon soit beau. Il ne manque donc pas grand chose à ce lieu pour lui faire tutoyer les sommets. Surtout, si l’on parle de ce fameux rapport qualité prix qui se veut à Barrocal un modèle du genre. C’est bien simple, je ne connais pas, à ce jour, un autre endroit dans le monde où l’agrément pourrait être supérieur à la centaine d'euros demandés (petit déjeuner inclus) pour abriter sa nuit, forcément étoilée, dans ce qui s’avère, en plus, être l’une des plus fameuses Réserves Naturelles de Ciel en Europe.
À 3h30 de Paris porte à porte, 2 heures de voiture de Séville et à peine moins de Lisbonne, son port d’attache, ce Barrocal, qui aurait pu se métamorphoser sans peine en un énième Aman, n’a rien d’un bout du monde sans attraits. Avec quelques délicieuses escales sur la route comme la Villa Extramuros ou la Casa No Tempo, l’antique et baroque Evora, classée au Patrimoine Mondial à proximité, l’inoubliable village blanc de Monsaraz pour voisin immédiat et prolongement naturel du Domaine avec ses toits de tuiles rouges, ses façades immaculées et ourlées de bleu qui offre au petit matin et dans un silence teinté d’or l’un des panoramas les plus grandioses que la nature puisse donner à voir sur l’Alqueva, le plus grand lac artificiel d’Europe, Sao Lourenço do Barrocal coche bien des cases. Les futures résidences initialement conçues par John Pawson ou Edouardo Souto de Moura n’ont pas encore trouvé refuge à l’abri de cette propriété aux proportions que l’on croyait réservées jusqu’alors au Nouveau Monde que ses vignes sur lesquelles veillent Susana Esteban, ses immenses champs d’oliviers ou de chênes-lièges, son architecture remarquable ou son Spa étonnant justifient déjà à eux-seuls une visite au goût prononcé de revenez-y. Unique et immanquable Sao Lourenço de Barrocal !
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 154€/nuit
Surclassement selon disponibilité • early check-in & late check-out selon disponibilité • 100$ spa credit • petit déjeuner • accueil personnalisé