Back from… Chalet Zannier
Wabi-sabi à la montagne !"
"Le plaisir le plus délicat est de faire celui d’autrui" nous enseignait La Bruyère. Ici, on en a fait sa maxime. Qui s’en plaindrait ? Certainement pas les 28 clients-élus pouvant se partager à la fois les 12 chambres et suites aux proportions très généreuses et dotées de terrasses ou balcons de cet ensemble de chalets traditionnels réunis aujourd’hui sous l’appellation Chalet Zannier mais autrefois connu comme la Ferme de mon Père. Profondément remaniée par Arnaud Zannier, créateur et propriétaire de ces maison-hôtels éponymes dont la version tropicale, Phum Baitang, fit sensation l’année dernière lors de son ouverture à Siem Reap et dont les autres projets devraient bientôt nous être dévoilés, la célèbre table de Marc Veyrat dont le restaurant de la maison a conservé le nom n’a rien perdu de son charme megèvan traditionnel, bien au contraire. Arnaud, comme d’autres héritiers, aurait pu laisser s’exprimer dans ce coin de Megève, qui manque peut-être d’un peu d’isolement, toute la fougue de sa jeunesse ou y faire une démonstration de ce que l’argent peut offrir, il a préféré y montrer toute l’étendue de son talent et de sa sensibilité pour ne pas dire de son intelligence. On en n’attendait pas moins du fils de Roger, qui en digne hériter de son père, n’en est pas à son premier projet puisque nous lui devons aussi la création de la très discrète et iconique marque N.d.c dont on retrouve ici quelques accessoires et la passion pour un cuir patiné qui s’accroche aussi élégamment aux signes de portes qu’il recouvre soigneusement les « directory books ».
Pour ceux qui l’auraient déjà deviné entre les lignes, ce chalet n’est pas que le laboratoire d’idées d’un garçon plein d’allant et de ses équipes au rang desquelles il faut mentionner Géraldine Dohogne en charge du concept et du design intérieur. Il s’inscrit bien au-delà, dans une démarche et une philosophie plus globale qui confère au lieu un intérêt éminemment supérieur. Non content d’en exprimer la quintessence, le Chalet Zannier s’impose indéniablement comme le plus bel exemple hôtelier connu à ce jour de ce fameux "style chalet". À tel point, qu’il s’en faut de très peu pour qu’il ne s’en aille rejoindre le cercle très fermé des plus beaux hôtels de ce monde, là où l’ordinaire ne trouve pas sa place pas plus que le luxe volontiers tapageur et plus généralement célébré sur ces sommets enneigés. Les allergiques au bling y trouvent en lieu et place un refuge apaisant pour les yeux et doux à l’âme. Ainsi la table de Julien Burlat qu’on a aimé au Dôme d’Anvers et dans une moindre mesure à l’Hôtel des Galeries, ne court pas après les étoiles. Elle donne ici dans la bistronomie en livrant une version sans chichi du terroir local et de la saisonnalité, s’autorisant avec une belle aisance et une chouette gourmandise quelques incartades du côté de la mer et des lacs voisins. On lui pardonnera volontiers la fraise fraiche servie sur un délicat sablé comme dernier réconfort à l’heure du coucher pour lui préférer ses mutines meringues café cannelle ou ses diaboliques tuiles parmesans garnissant généreusement quelques serviteurs muets en chambre accompagnés de corbeilles de fruits de saison frais et secs à couper ou à croquer selon au casse-noix, et de préférence arrosés d’un cru de la maison, Château Saint Maur ou Quinta do Pessegueiro. Rien d’extra-ordinaire jusque-là me direz-vous ? En effet, la maison n’a d’autre ambition que de célébrer les fondamentaux de l’hospitalité et de cet art de recevoir comme chez soi. Et elle y parvient fort bien, portée par le professionnalisme et la juste dose de fraîcheur d’une équipe naturellement soucieuse d’avoir toujours ce petit mot juste qui fait habituellement le charme et la précision des très grandes maisons. Au Chalet Zannier, on aime cette autre formule empruntée au très visionnaire Léonard de Vinci : « La simplicité est la sophistication ultime ». Comment ne pas leur donner raison et voir dans ce qui paraitrait sûrement à certains comme une forme de dichotomie ou d’indécision, une tempérance injustement répandue.
De cette simple phrase découle toute la philosophie de ce lieu qui cultive plus largement cet art secret et millénaire du wabi-sabi notamment vulgarisé par l’antiquaire Axel Vervoordt, dont les ouvrages sur le sujet trônent en bonne place parmi une multitude d’autres patiemment choisis et disposés sur les tables dans le respect des harmonies de couleurs présidant aux lieux dans lesquels ils s’exposent, un détail parmi tant d’autres mais dont bon nombre d’hôtels feraient bien de s’inspirer. Là où tant d’autres manquent d’une véritable colonne vertébrale ou d’une âme, le Chalet lui n’est que cohérence et intelligence, ou presque. Car nous sommes à peu près sûrs que la perfection n’est pas de ce monde et presque tout autant que de l’imperfection nait la beauté. Et c’est exactement ce qui importe ici. Le langage de la nature, ses hasards, ses irrégularités comme ses tourments sont ici célébrés. La courbure d’une branche, l’irrégularité d’une poutre, les cassures d’une pierre ou les fêlures d’un vase mais aussi une lumière qui perce ou une ombre qui dévore, la froideur d’un fer prisonnier dans la chaleur d’un bois, le contraste des matières comme l’alternance d’une lucarne et d’une baie vitrée forment autant de fenêtres ouvertes sur le monde, un monde fait ici de pins enneigés et de brumes qui courent sur la neige, où les nuances de gris du céladon au plomb en passant par le perle, le grège, le fumé, l’argile ou le taupe vibrent à l’unisson. La pierre, le bois, la terre y composent des tableaux abstraits et se font éléments narratifs d’une seule et même histoire, celle de la vie et du temps qui passe, qui forge et qui touche en plein cœur. Au détour de chaque regard, un objet aussi singulier que vernaculaire, décoratif ou utilitaire, nous rappelle ce que l’on doit à la main de l’homme et à la patine du temps. Il y a une noblesse infinie dans ces humbles objets qui ont tous en commun, qu’ils appartiennent aux brumes mystérieuses des Alpes, à celles du Japon, de la Chine ou des Flandres, d’obéir aux lois de la nature, de réaliser la croisée des chemins entre Orient et Occident, modernité et antiquité, et de faire contraster avec l’austérité du dehors la joliesse d’intérieurs où s’épanche le confort. Qu’il s’agisse de la vaisselle de potier aux teintes sourdes créée sur mesure et assortie à celles des housses de lin recouvrant la moindre assise, ici en nombre, de draps de coton blanc craquants à souhait, de sommier, matelas et couettes empilés pour apprenties Princesses au petit pois, le confort se veut aussi simple qu’ultime. C’est parfois inexplicable, mais cela doit-il l’être ? Comment nait ce sentiment de bien-être, cette douce sensation de chez-soi ? À partir de combien de coussins moelleux, de bouquets d’hortensias séchés, de rameaux délicats y parvenons-nous ? Il n’existe pas de recette miracle tout juste quelques préceptes mais ce dont il faut être sûr, c’est que pareil art s’accommode mal du travail à grande échelle. Cette élégance rustique, que nous savons nommer aujourd’hui et que nous pratiquions instinctivement autrefois, ces fleurs sauvages assemblées au hasard de paniers ou de vases de cristal, ces bols de bois et cette argenterie mêlée comme l’idée même de reconstruire un hameau avec ces chalets participent du même principe.
Il n’est pas besoin d’effets de manche, d’allumer des guirlandes ou d’accrocher des boules dans les sapins à Noël pour émerveiller ou toucher au sublime. La seule présence d’un arbre nu sur chacune des terrasses, gonflé de toute sa verdeur, ou de simples couronnes de pommes de pins tressées suffisent à nous rappeler la valeur du partage et du cadeau en ces temps festifs. En art, on appelle cela l’économie de moyens. Il n’y a rien de péjoratif derrière cette expression mais l’idée que l’on peut produire beaucoup d’effets avec très peu de choses. L’émotion ne se cherche pas forcément dans la richesse, elle peut se contenter de peu, c’est ce que l’Arte Povera a tenté de nous faire comprendre bien avant l’heure, mais avec une provocation qui lui était peut-être superflue. Chez les Zannier, on n’a pas peur du vide et du dépouillement. On ne cherche pas à remplir vainement mais on s’attache à faire du sens et à donner de la mesure. Pour poursuivre l’analogie avec l’art, il y a toujours un temps où le geste doit savoir s’arrêter pour que l’œuvre se réalise. À l’abri de ces murs recouverts de peinture à la chaux à l’apparence de papier rocher dont on faisait autrefois les crèches ou les rochers-mêmes qui font ici partie du décor quand ils tapissent l’une des chambres dans le plus bel effet de grisaille qui soit, l’ensemble tient du conte de Noël avec ce qu’il faut de recul, de poésie ou d’humour comme dans ce mazot du Chalet Privé dominant l’hôtel et censé abriter le linge du dimanche, les papiers de famille et autres aliments secrets. Nous sommes loin du concept autrefois imaginé par Marc Veyrat qui avait pour ambition de reconstruire la Ferme de son Père et d’en faire une sorte de conservatoire régional sans toutefois s’abstenir de lorgner du côté de l’opérette comme toujours avec l’homme au chapeau. Pour autant, après 5 ans d’existence maintenant, le chalet manque parfois, peut-être, d’une légère touche de modernité qui viendrait en renforcer le propos et lui assurer une nouvelle désirabilité à l’approche de l’arrivée de Four Seasons à la gestion du Mont d’Arbois sur la colline voisine sans qu’il y ait pourtant à redouter de réelle concurrence. On pense notamment à ces gravures d’un autre âge et sans attrait ornant les cimaises du restaurant qui, sans elles, gagnerait en épure et dont les brins de romarin ou de thym en guise de bouquets de table trouveraient alors un nouvel écho. Peut-être la rançon d’être ouvert aux habitants du village et autres vacanciers en goguette ? On ne gagne jamais à vouloir plaire ! Pour la même raison, on ne reviendra pas sur ce sacrifice fait aux écrans de télévision qu’on aimerait voir installés à la demande et non imposés quand ils se dotent a fortiori de pieds. On pourrait toujours joindre au cahier de doléances bien maigre, l’erreur d’un bassin de nage sujet aux aléas chromatiques sans jamais réussir à trouver sa teinte idéale qui fort heureusement n’altère en rien l’absolue sérénité d’un spa qu’on aimerait à voir plus souvent.
Mais ce serait nier l’évidence, au Chalet Zannier, la vérité a trouvé son chemin. Pour certains l’expérience du Chalet Zannier marquera peut-être un éveil esthétique, pour d’autres une indifférence ou au pire une incompréhension, ceux-là trouveront alors dans d’autres lieux de quoi nourrir leur imaginaire et leur soif de paraître. Pour les autres, les plus nombreux, il s’agira de vivre l’instant et de ne rien rater de ces moments précieux à commencer par le rituel immuable du goûter où attendent chaque jour, au retour des pistes, gâteaux de Savoie, tartes aux fruits, cakes et gaufres entre lait frais, chocolat chaud ou infusion à savourer au coin du feu, comme on le ferait à la maison.Dans sa lutte avec Courchevel, Megève la discrète a trouvé avec le Chalet Zannier la plus belle des martingales et nous l'une des plus jolies pages de l'hôtellerie française !
Mots & images : Patrick Locqueneux
À partir de 500€/nuit
Surclassement selon disponibilité • early check-in & late check-out selon disponibilité • 1 soin de 60min/pers • petit déjeuner • accueil personnalisé