Back from... Amankora Punakha
Un bout d'ailleurs pour soi !
Une fois passé le spectaculaire et inoubliable Dzong de Punakha, il faut encore longer pendant quelques kilomètres, la rivière hésitant en ses contreforts de pierre blanche, entre le bleu du saphir et le vert de l’émeraude, avant de s’arrêter sur le bas-côté aux abords d’un pont que l’on penserait de prime abord abandonné.
Il n’en est pourtant rien. Couvert de part et d’autre, de multicolores drapeaux votifs, cette passerelle dansante, où s’aventurent en premiers de cordée guide et chauffeur lestés des bagages, marque le passage, non pas vers l’au-delà mais vers un ailleurs qu’on voudrait ne plus avoir à quitter, un de ces paradis desquels nos nautonniers modernes ne devaient jamais nous ramener. Une fois passé cette Archéron qui n’a rien d’infernal, la surprise est encore au rendez-vous en découvrant quelques engins électriques et hybrides immatriculés d’une plaque de bois pyrogravée Amankora. Ce sont eux qui se chargent, au cours d’un dernier passage à travers les pins élancés dans lesquels se joue le soleil à son zénith, de laisser en contrebas les reflets dansants de la rivière, pour s’arrêter, non pas aux habituels et lourds portails marquant l’entrée de nombre d’Aman resorts, mais au seuil d’une noble et traditionnelle maison blanchie à la chaux et relevée d’enluminures dignes des plus riches pages de l’Ornement Polychrome selon Racinet. C’est là, à Amankora Punakha, qu’attendent l’affable Dee, l’efficace Pema et les autres membres de cette ancienne ferme ayant appartenu à la Reine et confiée désormais aux bons soins d’Aman qui a pour vocation d’en entretenir l’héritage mais également d’en parfaire le confort avec l’aide du génial Kerry Hill, encore une fois à l’œuvre comme dans les cinq autres lodges signés Amankora.
Dire que chacun d’entre eux va former, le temps de quelques heures, une heureuse famille de substitution peut paraître bien candide mais combien sont-ils, ces hôtels qui n’en sont pas vraiment d’ailleurs, ces lieux hors du commun, capables de vous donner, dès la porte franchie, le sentiment d’avoir pris possession d’un nouveau chez-soi ? À nouveau, Aman, avec ce lodge de 8 chambres (bientôt un peu plus) et sa nouvelle piscine désormais en eau, qu’il faudra revenir sans faute tester, réussit ce pari que tant d’autres lui envient
Très rarement, il m’aura été donné, au-delà de l’excitation de la découverte, de ressentir aussi fort la plénitude comme la quiétude d’un lieu à ce point béni par les dieux. Tous les matins du monde devraient ressembler à ceux vécus ici, quand le voile de la brume se déchire sous l‘effet de l’astre naissant et qu’il laisse ses fils cotonneux s’accrocher dans les branches des pins parasols et autres résineux où s’ébattent les oiseaux déjà en verve ou la rosée perler sur les herbes hautes dans lesquelles paissent, entre deux cibles d’archerie, ovins et équidés libérés de leur joug comme dans une symphonie pastorale. Le spectacle est d’autant plus grandiose et poignant quand le ciel revenu à son bleu le plus pur dévoile au loin les massifs enneigés de l’Himalaya. Si « chaque paysage est un état d’âme » selon la célèbre formule du philosophe suisse Amiel, celui-ci aurait incontestablement à voir avec la sérénité.
S’attabler là, le matin, en terrasse, même en plein mois de décembre quand la température dépasse allègrement et prestement les 20 degrés, prend alors un tour particulier. Il faut se pincer pour se convaincre de ne pas encore être perdu dans les songes de la nuit passée, bouleversé par la soirée qui a précédé. Mélancolique, on se souvient avoir revêtu, avec l’aide de la gouvernante et la componction de rigueur, le gho traditionnel, d’avoir succombé au coin d’un feu allumé aux premières lueurs de la lune et avant le ruissellement d’un ciel parsemé d’étoiles aux mélopées d’un joueur de luth avant de se régaler des mets du chef Viknesh, habile à magnifier cette cuisine rustique et gourmande inspirée par l’Inde voisine dans le cadre d’un des salons intimes à l’étage de cette ferme-chalet d’alpage qui donne à la montagne un cachet aussi inattendu qu’inoubliable. On se rappelle avoir tremblé à l’unisson des chandelles, ivre d’une joie intérieure plus forte que celle émanant du vin coulant sans retenue dans les verres, comme tous les extras de ce voyage initiatique se vivant all-inclusive, d’avoir manqué d’esquisser des pas de danse en prenant à témoin la lune dont les rayons venaient lécher les décors par les portes et fenêtres entrouvertes à la douceur de la nuit. On ne sait plus trop combien de temps il a fallu pour traverser le jardin laissé au silence et gravir l’escalier abrupt menant à son pavillon-refuge tapissé de bois clair. On se souvient, par contre, que les présents du soir, célébrant la richesse culturelle de ce pays où le bonheur fait si joliment sens, avaient été disposés, comme il se doit, sur les oreillers, que le feu crépitait encore dans le poêle et que le bain chaud avait déjà été préparé par des mains invisibles.
Alors, quand paraissent, après cette nuit idéale, sur la table du petit déjeuner les croissants à la lavande, le cake à la banane, le miel de fleurs ou la confiture de goyave de ce jardin d’Eden où tout semble vouloir pousser comme par miracle, on se prend alors à rêver que ce pays de cocagne ne soit pas si éloigné de nous, que l’on puisse y revenir en pèlerinage comme à l’incomparable et coloré Dzong lui servant d’ancrage, goûter encore à sa saveur de trop peu, prendre cette leçon de tir à l’arc qu’on s’était promise, se laisser aller entre les mains de l’exceptionnel masseur et yogi en résidence mais malheureusement en partance. Maintenant que le couloir de nage a trouvé une place dans cet écrin entre rivières, vergers, montagnes et rizières en cascades, la dernière excuse pour ne pas rester là plus que de raison est tombée en même temps que la larme que chacun, inévitablement, ne manquera pas d’essuyer à l’heure du départ. Car oui, Punakha le prouve, l’on peut aussi pleurer de bonheur, tout étourdi de ce sentiment aussi étrange qu’illusoire de posséder ce domaine pour soi seul. Y apercevoir à chaque détour, un de ses membres agenouillé au coin du feu, accoudé au balcon, gravir ou descendre un escalier, passer une tête dans l’embrasure de la fenêtre ou traverser la cour à grandes enjambées pour venir à sa rencontre, rassure sur le fait que chacun sera toujours le bienvenus dans cette maison du bout du monde au parfum d'éternité.
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 1.750€/jour en formule tout inclus : voiture, guide et chauffeur privés, pension complète, service de blanchisserie quotidien
Surclassement selon disponibilité • early check-in & late check-out selon disponibilité • 100$ hotel credit • accueil personnalisé