Back from… Jam Hotel
On se fait un Jam ?
Il va falloir s’y faire. L’hôtellerie s’est bel et bien réinventée, renouant parfois avec d’anciennes valeurs ou pratiques qui n’étaient pas faites pour déplaire, en inventant d’autres qui n’ont pas encore eu l’heur de plaire. Qu’importe, ses frontières sont chaque jour un peu plus floues, empruntant à différents modèles pour des formules toujours plus hybrides.
Le Jam Hotel n’échappe pas à la tendance, il la fait même, ne s’affranchissant pas de toutes les références connues mais imposant un concept pour le moins singulier, d’autant plus lorsque l’on connaît l’étrange conservatisme ambiant de cette ville pourtant capitale européenne à plus d’un titre. Certes, Bruxelles nous a bien offert quelques tentatives de modernité à commencer par The Hotel qui reste, justement comme son nom l’indique et malgré tout le bien qu’on en pense, le prototype de l’hôtel design, ou plus récemment l’Hôtel des Galeries, jolie version de ce cheap & chic qu’on aime tant, mais il lui manquait une vraie dose de créativité et d’humour comme les belges savent le faire, sans mauvaises histoires, sans frites au menu ou encore moins de planches d’Hergé aux murs.
Pour cela, il fallait déjà se mettre aux avant-postes de l’énergie créative de la ville ou tout du moins dans ces périphéries qui se plaisent à faire fleurir les nouveaux acteurs de réjouissances aussi artistiques que culinaires. Bordée par l’ennuyeuse et néanmoins fameuse avenue Louise, mais non loin du cœur historique de la ville, la bourgeoise Ixelles était pour cela une candidate idéale sachant la bohème Saint Gilles non loin. Séjourner au Jam sur la Chaussée de Charleroi ne met donc rien à longue distance, bien au contraire, et les amateurs de tram, Bruxelles oblige, qui n’auraient pas compris qu’ils lui devaient, pour ceux situés sur la rue, leur réveil matinal, auront vite fait de gagner le Palais des Beaux-Arts plutôt que La Patinoire à deux pas. C’est clair que cette ancienne école d’architecture longtemps restée désaffectée a plus à voir avec cette Patinoire voisine qu’avec l’institution des Beaux-Arts. Le Pop-Up Jam, sorte de concept store géant et éphémère mettant à l’honneur les métiers d’art, de la création et de l’artisanat qui vient de fermer ses portes le week-end dernier a confirmé, s’il en était besoin, que ce Jam tient plus de l’improvisation ou de la jamborée scout que du pot de confiture. Les 78 chambres ou plus exactement espaces de sommeil de ce lieu expérientiel ne font pas dans la dentelle. Usant sans surprise de l’anglais pour mieux séduire le cœur de cible des millenials, elles se prénomment au choix extra, hyper, ultra, supra, mega ou giga réservant dans leurs lits, alcôves ou couchettes jusqu’à 18 places.
Une géométrie variable pile dans l’époque et qui permet de sortir des tarifs tirés au cordeau allant de 18€ pour un lit en dortoir jusqu’à 150€ pour une chambre taillée pour un groupe ou une famille de 6. Car le Jam veut prouver, là encore, que l’on peut faire simple et bon marché mais surtout bon tout court. Ses 3 modestes étoiles n’empêchent pas de se régaler d’un petit déjeuner de bonne facture, certes ramené à l’essentiel mais à tendance healthy, avec mueslis, super-fruits, yaourts au soja entre autres, thés joliment sélectionnés, œufs à faire soi-même (bonne idée) ou jus de kiwi pressés minute quand d’autres bien plus capés continuent de ne proposer que pamplemousse ou orange sortis de leurs bouteilles comme seul choix, sans parler du reste. Un constat qui vaut aussi pour le restaurant italien prenant le relais au déjeuner ou en soirée pour le plus grand plaisir des tripsters ou des townsters de passage comme des Bruxellois en goguette. Il faut dire que Vincenzo Marino et Giambattista Suizzo du Vini Divini avec leur équipe 100% italian speaking font un chouette boulot entre casseroles de pâtes, pizzas minute et antipasti à partager en planches. Il faut avouer également que le très iconoclaste architecte d’intérieur et également réalisateur à ses heures, Lionel Jadot, leur a concocté un cadre à la mesure de leurs assiettes colorées.
Car ce qui fait du Jam un lieu surprenant et unique dans le pays, on le doit bien à ce trublion là et quelque part sans doute à Jean-Michel André, le patron de ces « Limited Edition Hotels » d’ordinaire plus réservés. L’univers brutaliste tout en grisaille contrastant de plus belle avec des kaléidoscopes de planches ripolinées de couleurs vives et de toutes tailles courants des tables aux plafonds vaudrait à lui seul une visite. Il n’y a pas un centimètre carré de l’hôtel qui n'échappe à cette improbable rencontre de styles et de matériaux oscillant entre récupération et création, surplus d’Emmaüs et vernaculaire marocain. L’homme réputé pour aimer les aventures semble avoir fait feu de tout bois, un bois ici non verni ou mené à la baguette, et s’en être donné à cœur joie. Bien sûr, tout cela sent parfois un peu l’impro, normal pour un jam, et mériterait un peu plus de rigueur ou de tenue, moins de bruit aussi, sans parler de celui du chantier voisin (chacun son tour) mais globalement ça fonctionne plutôt bien et même très bien si l’on repense au prix et si l’on sait que les derniers étages de l’immeuble servent de repaire à un bar nocturne avec vue sur la ville et une piscine encore plus unique à Bruxelles. Ce n’est pas comme si le soleil brillait tous les jours sur la capitale belge mais ce bassin d’agrément, plus que de nage, chauffé toute l’année fait bien la blague comme les transats et les mange-debouts encore gentiment alignés avant d’être bousculés à l’arrivée des très beaux jours.
Car ce Jam Hotel, à l’image de sa salle de jeux en sous-sol, ne se veut pas figé et n’attend que sa dose d’effronterie en bonne auberge de jeunesse des temps modernes. Un petit tour en images dans la galerie ci-dessus ou sur le site internet de cette Open House achèvera de convaincre les indécis mais pas forcément les réfractaires à toute forme d’humour qui ne comprendraient pas qu’ici tout est en option ou sur demande en dehors de la bouteille d’eau, de 3 chocolats belges au goût d’enfance, de cactus en bocaux, de thés en sachets ou d’un guide de la ville trop chouette mais enchainé à la table-bureau montée sur tréteaux. Il en ira ainsi entre-autres des vélos Brompton, des skateboards ou des scooters trop cools mais aussi des peignoirs, des slippers ou du tapis de yoga sans oublier le parapluie presque indispensable pour ceux (un peu moins jeunes) qui n’auraient pas de capuche. Alors, on se le fit ce Jam ?
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 64€/nuit