Back from… La Fiermontina
Une Masseria bien urbaine !
Lecce, voilà bien un nom qui sonne comme une suave gourmandise. Ce haut lieu touristique et artistique n’attire pourtant pas que de benoits suceurs de glaces, les amoureux d’un baroque italien se définissant ici comme « barrocco leccese » y ont trouvé de quoi assouvir leur passion et depuis deux ans de quoi s’y aménager une halte à la hauteur. À l’une des entrées de l’antique cité et à quelques centaines de mètres de la théâtrale Piazza del Duomo, qu’on aime encore plus à découvrir de nuit sous ses habits de lumière après avoir arpenté les ruelles laissées provisoirement au seul son de ses propres pas, se tient en effet une Masseria exceptionnelle à plus d’un titre. La Fiermontina n’a pas que la racine de son nom pour fierté et bien plus que ses hauts murs de pierre et ses plafond voûtés comme appas. Cette Masseria dont les jardins plantés d'agrumes et d’oliviers centenaires suffiraient à en faire l’orgueil, se veut, avant d’être un hôtel à l’urbanité avouée et surprenante dans les Pouilles, le dernier des témoignages offerts à une femme d’exception ayant pour nom Fiermonte et Antonia pour prénom. Sa petite fille elle-aussi prénommée Antonia et son frère, Giacomo, qui préfèrent porter leurs petits noms italiens plutôt que marocains quand ils élisent domicile sur les terres apuliennes de leur grand-mère lointaine, ont fait de cette bâtisse du 17ème un hommage posthume tout aussi spectaculaire que celui offert avant eux par le meilleur ami de leur grand-père et second époux de celle-ci.
À Mentana, le sculpteur et poète Jacques Zwobada, a en effet érigé un mausolée à la mémoire de sa bien-aimée qu’il avait enlevée quelques années plus tôt à son comparse Jacques Letourneur, comme lui Grand Prix de Rome.Ce temple dédié à l’Amour, où il se fit lui-même enterré plus tard à l’instar d’Enzo Fiermonte, le frère célèbre de sa défunte épouse, voit aujourd’hui dans la Fiermontina son prolongement. L’immanquable storytelling ne s’arrête pas aux portes du bar dédié au passé glorieux d’Enzo, tour à tour boxeur, play-boy et acteur de cinéma dont les multiples portraits célébrant sa beauté tapissent les murs. Les deux sculpteurs et amants d’Antonia, qui dans le drame s’étaient réconciliés, ont aujourd’hui de manière égale les honneurs de ce palais d’un nouveau genre puisqu’ils en colonisent, avec d’autres de leurs amis artistes non moins célèbres, les allées, jardins et cimaises.
Après 10 ans de travaux, cette Fiermontina n’a jamais si bien porté son nom. Célébrant ses illustres origines et son attachement à cette terre italienne où chacun semble vouloir revenir comme dans ce « Soleil des Scorta » de Laurent Gaudé, elle offre aux voyageurs d’aujourd’hui 16 chambres-suites aux dimensions incroyablement généreuses. Toutes différentes et pour le moins spectaculaires pour certaines d’entre-elles sous leurs hauts plafonds, à l’instar de la 7 ou de la 8, la fameuse suite dite Hermés avec sa terrasse en surplomb du jardin, ou de la 5 en rez de ce même jardin où les pelouses impeccables dessinent de parfaits écrins pour oliviers presque tricentenaires et sculptures de bronze aussi monumentales que muséales, ces cellules presque monastiques qu’on aurait aimées encore plus sobres, débarrassées des travers de l’hôtellerie dite de luxe consistant à empiler les correspondances et accumuler les aménités, imposent avant tout par leur confort immodéré qui ferait penser que si le lieu l’avait permis, Aman, pour ne pas citer la marque, en aurait volontiers fait un de ses énièmes refuges. Quel dommage donc que, comme souvent, la belle idée de départ s’arrête en si bon chemin et que ce qui avec pareil storytelling aurait donné lieu à un esprit maison fort à propos se cogne dans le comptoir d’une réception belle et bien présente ou que le petit déjeuner se heurte au goût incertain d’un buffet, par exemple.
Parce que tout le reste, dans cette sorte de thébaïde où l’espace a élu domicile, de la bibliothèque aux salons du premier étage en passant par les multiples terrasses, les patios sous treille ou les jardins à ciel ouvert, trouve une belle cohérence et une indiscutable élégance. La fameuse "pietra leccese" aux reflets dorés combinée au "marmo di trani" y forment un écrin idéal dans lequel s’invitent carrés de pelouse manucurés plantés d’oliviers ombrageux, bassin de nage azuré entouré de salons extérieurs parfaitement ordonnancés et sculptures aussi totémiques que romantiques à l’instar du fameux « couple » signé Zwobada ou des « Deux sœurs » de Fernand Léger gardant chacune des allées de ce bout de paradis qu’il peut s’avérer difficile de quitter. Car, si de multiples excursions sont organisées aux alentours, le gazouillis des oiseaux se mêlant au tintement des nombreuses cloches de la ville bat ici la jolie mesure d’un temps voué à l’indolence. Et quand vient le soir, que l’apéritif s’invite en terrasse sous les étoiles et que la « cucina povera » de Simone Solido fait quelques étincelles, on se dit que cette Masseria s’avère tout de même bien urbaine sur la route des Pouilles
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 330€/nuit • petit déjeuner