Back from… La Route du Sud, Maison des Arganiers
En route pour le Sud !
Dire que j’ai été le premier à l’inaugurer, à l’avoir annoncée ici et à en avoir fait pour partie le sujet d’un livre toujours disponible à la commande pour le compte de mon ami Thierry Teyssier ! Il aura fallu la faveur d’une deuxième fois au printemps dernier pour que je m’oblige à vous en narrer avec force détails l’inracontable car ici plus qu’ailleurs vous apprendrez que le rêve n’a d’autre ambition que de se vivre.
Comme à l’accoutumée avec les bien-nommées Maisons des Rêves et Thierry Teyssier aux ficelles de ces pièces uniques se jouant au grand air, rien de ce voyage initiatique cher à Jack Kerouac et d’autres avant lui n’a, en effet, été laissé au hasard. Chaque minute, chaque kilomètre y a été pensé avec la même quête d’émerveillement et de surprise. Loin des méharées ou des expéditions routières du siècle dernier, la priorité ici a été donnée au confort et à l’exclusivité. Que l’on soit seul, ce qui serait dommage, deux ou jusqu’à six amis ou membres d’une même famille, il est bon de rappeler que cette Route du Sud et les maisons qui en constituent les étapes ne se vivent qu’entre soi et par l’entremise de voitures avec chauffeur et butler à raison de deux passagers par véhicule munis d’oreillers et de couettes d’été pour atténuer les hoquets de la route, d’une connexion wifi, d’un carnet de notes et d’autres goodies pour se distraire, s’il en était besoin, du paysage grandiose qui s’apprête à défiler sous les yeux. Pour que l’expérience soit complètement unique, la règle « pas d’autre client au même moment et au même endroit » édictée il y a déjà 15 ans à Dar Ahlam, par l’homme d’événement qu’il est, s’applique de la même manière à cette route fascinante
La route a pour elle cette capacité à nous sortir de l’enfermement et de l’immobilisme en nous offrant l’échappement ou l’exploration. Elle n’est que pulsion, désir d’ailleurs et soif de l’autre, elle est voie de liberté et possibilité d’espérance. Quand elle s’amuse comme dans le cas présent à nous montrer la voie vers des lieux en déshérence, à nous renvoyer à des temps révolus, de l’ère géologique aux débuts de l’aventure humaine, à nous mettre sur la piste des premiers explorateurs ou des infatigables caravaniers des siècles précédents, à retracer l’histoire et faire œuvre de mémoire, quand elle relie villages, cultures, territoires, croyances, beautés et différences, quand elle révèle des paysages extraordinaires, en jouant à cache-cache, en s’alliant à eux, en les contournant par endroits pour mieux les pénétrer à d’autres, quand elle offre, dans sa condensation de l’espace-temps, cette possibilité de pouvoir en stopper le cours à tout moment, de descendre de voiture, de bifurquer, de s’en éloigner pour mieux la retrouver, de pouvoir saisir quelques instants photographiques dans ces impressions se superposant, dans cet enregistrement rapide et synthétique, dans sa trace formant un continuum pour n’être plus qu’une forme globale et une seule couleur en CinémaScope, elle est non seulement unique, plurielle et inoubliable. Elle appartient à ces routes que Péguy aimait à comparer à « d’immenses rubans, des colliers déroulés et des chapelets dénoués » qui nous lient les uns aux autres au-delà de toute croyance.
Je vous emmène donc sur celle qui se réclame du Sud, celle qui, au départ de Marrakech ou d’Agadir au bon vouloir du voyageur et à destination de Dar Ahlam son terme, a pour but de couvrir et de faire découvrir les richesses d’un Maroc encore méconnu. Sur cet itinéraire de 7 jours 6 nuits embrassant près de 1.000 kilomètres et qui se dévoile de l’automne au printemps, après les chaleurs étouffantes et impraticables de l’été, nous allons marquer ensemble cinq étapes ayant pour cadre autant habitats pour le moins différents. Cela commence aujourd’hui sur les contreforts de l’Atlas, au-dessus d’Azrarag à quelques kilomètres d’Agadir la Perle du Sud avec une maison réhabilitée dominant la vallée s’étendant jusqu’aux vergers de Taroudant. Ce premier havre y porte le nom des Arganiers, ces arbres épineux et secs à la silhouette décharnée dont les noyaux des fruits rognés par les chèvres une fois pressés donneront cette huile si douce et particulière, ces noyaux qui accueillent au détour d’une malle à l’entrée, qui enivrent les sens lors du premier massage de bienvenue dispensé, le soir même, par la talentueuse Leila ou parfument les plats du diner servi sur la terrasse face aux collines environnantes.
Cette première étape a ceci d’extraordinaire d’être tout à fait ordinaire, ou presque. La plongée dans la ruralité y est aussi vertigineuse et enthousiasmante que la vue de ce belvédère semblant se perdre à l’infini. Rien ne laisse pourtant présager dans les derniers lacets de la piste conduisant à ce Douar typique du Maroc, pareil aux quelques maisons mitoyennes de ce hameau voyant passer chevriers et troupeaux en défilés aussi joyeux que cadencés, de ce qui attend le visiteur une fois la porte franchie. En fait, de porte il n’y a pas ou presque puisque celle-ci se veut ouverte durant la journée tout comme les portes des chambres sans clé reliées par un chemin de ronde à l’étage ou bordée d’une petite cour et d’un jardin intérieur pour celle du niveau inférieur. D’enseigne, il n’y a pas non plus, pas plus que de réception ou de tout autre attribut relevant de l’hôtellerie classique. Il ne s’agit au premier abord de rien d’autre qu’une maison de village, une maison tout court avec ce charme inhérent et désinvolte de l’évidence. Si sa décoration tient comme toujours des influences des voyages de Thierry Teyssier par le monde, elle relève avant tout de ce vernaculaire, de cette identité marocaine expurgée de tout artifice chers au Studio KO, concepteur des lieux. Le grège et l’azur en forment la palette volontairement réduite pour mieux s’harmoniser avec la brutalité de la pierre et la douceur du ciel composant le paysage au contraire extraordinaire de ces centaines de milliers d’arganiers dévalant la plaine jusqu’aux confins de Taroudant. Bien qu’introvertie et protégée du vent par la cour dans sa partie basse, la maison toute entière est tournée vers la beauté du dehors. L’œil peut en traverser chaque pièce, s’échapper par chaque fenêtre ou porte et chercher par-delà chaque terrasse les jeux de lumière dans les cordes de bois flottés, les plafonds de torchis ou les silhouettes des cheminées fièrement dressées, qu’ils émanent de l’astre solaire ou s’échappent de la dentelle formée par des dizaines de lumignons allumés à la nuit tombée pour une dernière sérénade avec les étoiles.
Le spectacle y est si saisissant et la sensation d’espace tellement forte en ce premier jour que la simple perspective des aurevoirs s’y vit déjà comme un déchirement. Il faut dire que cette Vallée des Arganiers sait d’autant plus aimanter le regard que l’on sait qu’à peine arrivé, il faut en partir le lendemain. Heureusement que ni piscine, ni transats ne viennent en prolonger le sortilège et rendre plus grande la souffrance. On se borne à profiter plus que de raison de chacun des instants passés dans ce nid d’aigle, jusque tard dans la nuit, dans cette nuit chargée des bruits du dehors dont rien ne suffit à calmer les ardeurs, pas plus la bougie « patience imaginée par Olivia Giacobetti et qui brule depuis l’arrivée dans chacune des chambres que la promesse de l’aube et de ce pouls de la vie qui continue de battre au rythme du bled. On voudrait encore choisir un livre dans la bibliothèque, se poser à l’abri du salon à découvert sur la terrasse spartiate, faire un feu dans la cheminée, baguenauder dans le village et aller à la rencontre des chevriers, revivre le film de ce premier diner en terrasse, divin comme tous les repas à suivre, reprendre un verre d’infusion basilic ou une dernière part de gâteau. Mais non, la perspective de partir à la rencontre d’autres sensations l’emporte sur la tentation de faire sienne cette maison pour plus encore.
Le petit déjeuner pris en terrasse à l’aube, la cérémonie d’un verre de lait d’amandes frais accompagné de quelques pâtisseries au miel d’argan préparées par le chef comme le moment solennel de troquer les valises qui nous rappelaient la civilisation pour des malles de cuir idoines ravivent les souvenirs d’un art du voyage oublié et augurent de jours meilleurs qui mènent d’abord à la mer. La première centaine de kilomètres nous conduit sur cette route côtière au cœur du Parc du Souss Moussa qui pourrait, si on en suivait le cours, finir en Mauritanie, aux portes de l’Afrique Noire, là où Saint Exupéry et Michel Vieuchange allèrent au bout de leurs désirs d’aventures.
Elle s’arrête tout d’abord en pleine campagne, après avoir traversé Tiznit, la berbère, pour une pause fruitée où infusion fraiche et part de cake calent l’appétit mis en éveil par la mer toute proche. Puis vient Mirleft la balnéaire et le spectacle indécent, jusqu’à la blanche Sidi Ifni, de vallées entières dégringolant d’euphorbes et de figuiers de barbarie dont une vie entière ne suffirait pas à récolter les fruits d’or. C’est là, sur la spectaculaire plage de Legzira, quand les falaises de grés rouge entamées par l’érosion et baptisées pattes d’éléphants forment d’impressionnantes arches prenant appui dans les flots, qu’une première ballade s’impose et que se déguste le premier déjeuner attendant comme par enchantement au détour de quelques pas esquissés entre sable et galets. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, quelques foutahs ont été installées face à l’océan et un pique-nique froid, servi en bentos et verrines individuelles dont les saveurs marines se mêlent aux embruns, a été dressé avec la simplicité de mise par les butlers.
La tentation d’un dernier bain est grande pour les plus aventureux mais il faut regagner la voiture pour une sieste bienvenue et une dernière portion de route menant à Guelmim, ce passage autrefois obligé sur la route des caravanes de Tombouctou, là où s’affaisse l’Anti-Atlas et chante déjà la langue du Sahara. Bien que si proches des rivages de l’Atlantique encore presque visibles dans les rétroviseurs, c’est là que s'ouvrent les premières portes du désert . L'esprit encore occupé à compter les cactées verdoyantes rencontrées jusque-là et les mains à démêler les cheveux encore piqués de grains de sable et du souvenir de cette escapade maritime, l’apparition de la palmeraie de Tighmert à la droite de cette route maintenant désertique parait alors presque de trop à l’inventaire de cette première partie d’une traversée contrastée en sensations et couleurs. Ici, commence le second chapitre de cette Route du Sud. À suivre...
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 6.000€/personne (de 1 à 3 participants) ou 5.000€/personne (de 4 à 6 participants) • Formule tout inclus : transferts aéroports de Marrakech ou Agadir, 4x4 avec chauffeur et butler sur la route, tous les repas et collations, boissons (sauf champagne), excursions, 2 massages/personne.