Back from… N’orma
La Sicile au coeur !
Si les routes n‘étaient si difficiles en Sicile, que ne reviendrions nous pas comme tant d’autres à intervalles réguliers s’enquérir de leur santé comme de celle d’Insisto, le chien mascotte de la maison, de celles des oliviers ou de la vigne. Car leur maison est de celles qui attachent le cœur avec un ruban délicat et précieux, fait de générosité et d’humilité. Très loin d’une Villa des Oliviers, premier bastion grandiose du Jacques Garcia Resort, d’une impressionnante Casa Vera ou d’une inénarrable Dimore Delle Balze à Noto, N’orma fait presque figure de parent pauvre. L’ancienne ferme, accessible au prix d’un chemin de terre escarpé perdu au milieu de ces cultures protégées des ardeurs du soleil par des bâches de fortune et colorées, appartient en effet à un autre monde, bien réel.
Non loin de la Casa Talia de Modica, c’est dans cette province de Raguse au pied de Chiaramonte Gulfi que se joue désormais la seconde vie d’Andreina Lebole et de Maurizio di Gregorio. La fille d’anciens marchands de mobilier italien à Milan et l’ex-journaliste en charge de la culture au Corriere della Serra ont trouvé dans cette modeste demeure leur petit coin de paradis, un terrain de jeu où chacun peut laisser libre cours à son bon goût et à sa douce fantaisie. Hors de question pour le couple de sémillants retraités de raccrocher les gants et de ne pas mettre la même énergie et la même rigueur qu’autrefois dans ce projet hybride qui tient à la fois de la chambre et de la table d’hôtes, du concept store et de l’épicerie de village et qui vaut bien plus que ce qu’on appelle communément « agroturismo ».
N’orma ne s’enorgueillit pas que de ses multiples acceptions, c’est un acte pluriel presque militant, celui d’un hommage à la terre, aux traditions mais aussi à la modernité de cette Italie, à sa joie de vivre et à son hospitalité. Si Paolo Sorrentino célébrait Rome l’aristocratique et sa Dolce Vita au cœur de l’été avec sa Grande Belleza, Andreina et Maurizio donnent à la Sicile une couleur différente, à la ruralité une authentique intelligence et à l’hôtellerie une nouvelle humanité. J’en veux pour témoin ce fameux soir, où les voisins de tous âges et de tous horizons venus en amis, heureux de retrouver des clients entrevus deux années passées et empressés de rencontrer de nouveaux arrivants, se sont emparés des lieux et de la cuisine avec une énergie contagieuse que seule l’Italie peut connaître. Entre le coucher de soleil sur les milliers d’hectares de ces terres arables à perte de vue et le moment de cette heure divine et bleue transfigurant pareil paysage, furent alors installés à la faveur d’une tyrolienne charriant couverts et plats apportés par chacun jusqu’à l’incroyable terrasse-observatoire, un décor impromptu et éclairé jusque tard dans la nuit, non seulement par les étoiles d’un ciel ici d’une incroyable pureté mais aussi par les installations du talentueux Davide Groppi. L’ami du couple s’est en effet, lui aussi, approprié les lieux à leur demande, essaimant son art de la mise en lumière dans chaque recoin de la propriété autant à l’extérieur qu’à l’intérieur, jouant la carte de la démesure ou de l‘infiniment petit mais toujours avec ce minimalisme qui le caractérise. Son installation la plus spectaculaire étant sans doute sa bien-nommée et gigantesque suspension Moon illuminant le lit immaculé et paré de lin de la chambre 15, l’une des deux seules chambres de cet hôtel-ferme-auberge d’un nouveau genre oscillant entre vernaculaire et contemporanéité. À l’un comme à l’autre de ces genres, Andreina surtout, a porté la même attention et la même bienveillance, donnant à cette rencontre un style unique et non reproductible. Une fois de plus comme expérimenté tant de fois de par le monde, au Collatéral, au Berber Lodge ou à Sao Lourenço do Barrocal pour ne citer que ceux-là, ces chambres, véritables condensés d’idées et d’intelligence, prouvent une fois plus qu’en faisant simple, on peut faire beau et forcément bon. Un mange disque accroché au mur jouant des airs siciliens se mêlant au chant des tourterelles, une carafe d’eau purifiée au charbon agrémentée d’un gâteau maison en guise de bienvenue, des draps et serviettes brodés à profusion eux aussi aux couleurs de la maison, de grandes baies vitrées ouvertes sur le parfum des lavandes, la vue sur les oliviers gorgés de soleil de la baignoire trônant en majesté comme de la douche extérieure protégée par un habile système de paravents montés sur roulettes, quelques cintres de cuivre accrochés à une échelle de meunier en lévitation sous des plafonds faits de roseaux et de plâtre, des louches et autres ustensiles de cuisine en accessoires d’une salle de bain gagnée sur une ancienne auge à bétail, ne sont que quelques éléments rapidement croqués par un regard intraitable au hasard de la chambre 15. L’autre, utilisée en d’autres temps pour cacher le grain dans sa cavité, bien que légèrement moins grande mais dotée d’un lit carré de deux mètres par deux n’a rien à lui envier, affichant tout autant de grâce et d’insolente ingéniosité.
Grâce à l’intervention raisonnée et respectueuse de l’architecte Patrizia Sbalchiero, l’enchevêtrement de bâtiments dont on ne sait jamais vraiment déceler la partie privative de la partie locative ne semble devoir son charme qu’à l’héritage de ses anciens propriétaires. Il a toutefois donné à Andreina de quoi laisser libre cours à sa créativité en laissant trainer çà et là sabots, pots à laits, et autres objets prêts à de nouvelles vies comme une spatule en guise de poignée de porte, une louche pour se rincer, des pitons dans le mur pour servir de marque-pages ou un cheval d'arçon en guise de canapé mais surtout de quoi jouer à la marchande de quatre-saisons, présentant linge, bijoux et autres créations artisanales au détour de courettes, empaquetant dans l’antre de sa cuisine huile d‘olive, confitures, vins et autres produits fait maison que Maurizio conserve précieusement sous clé dans cette cave faisant office de bureau et de petit musée de son ancienne vie de journaliste. Si l’un et l’autre ont trouvé leur place dans leur nouvelle maison que dire de leurs hôtes qui s’approprient spontanément le moindre recoin de ces terrasses inondées de soleil et de ces deux hectares de terres plantées de vignes, cyprès, amandiers, orangers et autres citronniers qui font cette Sicile généreuse mais aussi d’oliviers dont ils n’hésitent pas à faire la récolte ou à participer à l’entretien de bon matin en compagnie de Maurizio et d’Insisto quand la lavande couverte de givre n’a pas encore livré ses efflorescences au butinage avide des papillons et des abeilles. Si la lavande marque, aussi durablement la rétine que le territoire de cette maison, l’huile d’olive récoltée ici imprime avec autant d’ardeur le palais de ses saveurs de tomate, d’herbe fraichement coupée et d’artichaut et ce dès le moment choisi par leurs hôtes, où Andreina et Maurizio servent le petit-déjeuner comme s’ils veillaient au sommeil de leurs propres enfants.
Lorsque l’on s’endort fenêtres béantes sur le spectacle d’une nature refroidie par la lune et d’un ciel piqué d’étoiles filantes, que l’on se réveille sous la caresse de l’aurore, que l’on se rendort malgré les premiers assauts dorés du jour, un temps différent bat alors la mesure, égrenant plus lentement ses secondes et faisant mentir l’horloge moderne suspendue aux murs, que l’on croirait couverts de suie, de cette cuisine sombre comme une cathédrale et dont le soleil écrasant au dehors semble être tenu à l’écart, mis en respect par la maitresse de maison, cuisinière émérite amie de René Redzepi du Noma, et portant toujours élève appliquée n‘hésitant jamais à ouvrir l’un des multiples ouvrages consacrés à la cuisine garnissant les rayonnages de sa drôle de bibliothèque classée avec la méticulosité de son bibliophile de mari. Dès la première collation du jour qui se dispense souvent de toute suite plus ou moins rapprochée, Andréina toute entière à ses fourneaux s’amuse à éblouir à chaque assiette ou contenant, tous différents, apportés par et sous l’œil amusé et complice de Maurizio dans une sorte de procession minutée qu’on jurerait ininterrompue. Il est des petits déjeuners qui indifférent trop souvent et d’autres qui marquent trop rarement, celui de N’orma fait date comme chacun de ces instants glanés entre soleil ardent et grand air, loin de toute tragédie qui pourrait se nouer sous d’autres cieux. S’il n’y avait les quelques impatiences du bien-nommé Insisto, seul le bruissement d’un rideau de porte en jujube dont les battants restent tenus ouverts par d’habiles pierres à usage de cale-porte ou d’un filet de camouflage en guise de taud viendrait à nous rappeler que nous sommes dans un monde bien vivant.
À partir de 295€/nuit • petit déjeuner inclus • min. 2 nuits, 3 en saison