Back from… Palazzo Mongio Dell’Elefante
Un Palazzo... grandioso !
Celui qui pensait avoir tout embrassé du baroque italien avec une visite à Lecce sera fort marri de constater qu’après avoir emprunté une route secondaire le mettant à équidistance des deux mers, entre Galipoli et Otranto, et avoir traversé un énième de ces passages à niveaux ponctuant le paysage du Salento, il lui restait à découvrir une ville comme Galatina, à peine signalée sur les guides. Bien lui en aura pris, car une fois franchie l’une des trois portes encore debout de celle que l’on avait littéralement surnommée « la belle Athènes », se succèderont palais de la Renaissance et du Baroque et au bout de la rue qui le mènera à l’un d’entre eux et non des moindres, l'étourdissante Basilique Sainte Catherine d’Alexandrie, certainement l’une des moins connues et pourtant l’un des joyaux de cette Italie du Sud avec ses fresques du 14ème siècle de l’école de Giotto. Galatina est un sortilège, l’une de ces villes « atmosphériques » et fantomatiques à la nuit tombée, un petit miracle de tradition, de désuétude et de charme.
Antonio Lodovico Scolari et Christian Pizzinini, le duo à la tête de l’agence de communication éponyme et propriétaire du très abscons Pallazo Mongio dell’Elefante qui constitue l’immanquable port d’attache de cette escale sur la route des Pouilles ne s’y sont pas trompés. En délaissant la proche Nardo où ils s’étaient tout d’abord installés et en faisant, bien avant cela le choix de quitter Milan aux mois les plus chauds pour prendre leurs quartiers d’été dans la région de Lecce, ils savaient qu’ils trouveraient ici de quoi assouvir tous leurs fantasmes.Racheter, faute de mieux, la moitié d’un des sept palais que la famille Mongio comptait dans la petite cité, n’aura pas été une mince affaire mais une fois la rénovation de ce palazzo édifié en 1723 et délaissé pendant près d’un demi-siècle, il ne leur restait plus qu’à laisser s’exprimer leurs envies respectives et trop longtemps contenues de recevoir et de décorer au meilleur sens du terme avec ce talent et cette fantaisie que seuls quelques italiens à l’instar de Dimore, Nina Yashar ou Vicenzo de Cottis pratiquent aujourd’hui. Leur sens de la mise en scène n’a d’égal que leur connaissance pour ne pas dire leur expertise de l’histoire du design italien et de ses meilleurs interprètes. Ce qui devait être un lieu de villégiature privé et l’annexe estivale de leur office milanais s’est peu à peu transformé en galerie d’art sous la voute centrale des anciens salons d’apparat lacérée d’une œuvre (sanguine) in-situ signée Eduard Habicher et en bed & breakfast de trois chambres pour le moins inédit compte tenu du caractère extraordinaire des lieux et de l’absence de petit déjeuner servi.
Ce qui aurait pu constituer le seul point négatif de cet hébergement étonnamment et uniquement offert sur Airbnb, se révèle en fait un formidable atout pour s’élancer dès potron-minet à la découverte de la belle endormie en compagnie du duo. Car ces deux garçons, à la mise toujours impeccable, ont beau disposer à l’étage, d’une cuisine toute équipée et d’une salle à manger qu’ils ouvrent volontiers comme le reste de leur appartement privé à leurs hôtes, ils manquent rarement l’occasion de s’attabler au bar du coin, sur cette Piazza Dante Alighieri, face à l’imposante église de la paroisse, pour siroter leur café glacé au lait d’amande, l‘inoubliable café leccese, et dévorer l’un de ces addictifs pasticiotti inventés par Andrea Ascalone dont la Pasticherria se dresse toujours au bout de la rue. Eux qui sont pourtant tout entiers tournés vers la modernité et parfaitement en phase avec leur époque n’aiment rien tant que confier leur apparence au plus ancien barbier en ville, faire couper leurs costumes chez le tailleur local, ou mieux encore flâner dans les ruelles, alentours, le nez en l’air à l’affut de quelques palais abandonnés qui viendraient grossir les rangs d’un marché encore fébrile et dans lesquels ils verraient bien quelques amis fatigués de la grande ville et du Nord les rejoindre dans leur amour commun des vieilles pierres. La défense du patrimoine et des traditions les excite autant que la promotion de l’art contemporain auquel ils sont ravis d’initier locaux et hôtes de passage lors de leurs fameuses expositions temporaires au rez-de-chaussée comme à l’étage noble de leur palais à l’emblème de l’éléphant dont les plafonds montent à sept mètres.
Lorsqu’ils laissent ouvertes les portes de leur bureau ou de l’une ou l’autre des trois chambres, qui auraient échappé ce jour-là à la location honteusement bon marché de 110€ la nuit, de part et d’autre de la galeie, chacun est alors à même de comprendre la richesse d’un dialogue artistique postmoderne. Les signatures de Gio Ponti, Franco Albini, Caccia Dominioni, Osvaldo Borsani, Ettore Sottsass, Stilnovo ou ArteLuce sur des pièces, bien souvent uniques ou à la provenance remarquable, servent de base à la construction d’une nouvelle histoire qui fait la une comme la joie de tous les magazines spécialisés en décoration ou en architecture, en Italie bien sûr mais un peu partout ailleurs aussi. Alors, que dire de ceux dont je fais partie, qui, après s’être égarés dans les ruelles rendues à la douceur de la nuit et avoir pris un dernier bain à remous sur la terrasse auréolée des lumières de la ville et d’une voute céleste exemplaire ont eu la chance, pour une poignée d’euros, de s’endormir un soir dans un lit de Gio Ponti et se réveiller le lendemain au son des cloches de la Chiesa Madre ? Qu’ils ont été, eux aussi, tout simplement heureux et honorés de partager un tant soit peu du quotidien peu ordinaire de ce Palazzo Mongio dell’Elefante della Torre et de ses hôtes délicats que sont Antonio et Christian.
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 110€/nuit (3 nuits min.)