Back from… Refuge du Montenvers
Premier de cordée ?
J'ai toujours aimé considérer que tout voyage se devait de commencer au plus tôt, idéalement dès la porte de chez soi fermée, les moyens d’y parvenir me semblant tout aussi importants que les lieux où ils conduisent.
Dans le cas du Refuge du Montenvers, on est particulièrement bien servi car l’aventure menant au sommet démarre dès l’arrivée à la preque champêtre gare de Chamonix-Mont Blanc avec ses marquises et sa toiture à pans devant laquelle une vielle locomotive à vapeur monte la garde. Si cette dernière ne conduit plus les quelques 900.000 visiteurs annuels au pied de la fameuse Mer de glace à 1913 mètres d’altitude, le système à crémaillère reste lui d’actualité sur les 5 kilomètres d’une expérience absolument unique sillonnant à travers bois. Qui n’a pas rêvé un jour d’emprunter l’une de ces lignes mythiques et de monter à bord d’un de ces trains non moins singuliers ? Celle du Montenvers coche assurément toutes les cases de la désirabilité avec ses voitures à l’ancienne, ses paysages spectaculaires, son admirable technicité et sa destination unique au monde sur laquelle veille un Refuge bien plus réjouissant que pourrait laisser supposer son austère façade de granit.
Derrière ses volets rouges claquant dans le bleu du ciel et se mirant dans la blancheur des glaces éternelles, s’exprime plus qu’un art de vivre une autre manière d’appréhender le monde, une communion avec la nature égayée par le seul chant des oiseaux à peine perturbé par le glissement du train à intervalles réguliers donnant là une nouvelle occasion de se précipiter à la fenêtre. Voilà bien, en dehors de la Mer de Glace et des randonnées alentour, les seules distractions de ce Refuge exempt par bonheur de télévision ou de radio et dont le décor joue un élément clé dans la narration.
Le Refuge du Montenvers est à lui seul une formidable invitation à remonter le temps. L’énorme caisse enregistreuse en bois placée à l’entrée donne le ton. La salle du restaurant ne détonne pas avec aux cimaises de ses murs en frisette les portraits noir et blanc des explorateurs du Mont Blanc ou des voyageurs célèbres ayant fait ici une halte, ce parfois bien avant la construction du refuge. Les quelques assises régionales passées à la moulinette de la modernité, épurée ou laquée de près en blanc pur, ne jurent pas plus que les chemises à carreaux, les gilets à chevrons ou les pantalons de velours d’un personnel dont l’insolente jeunesse et les tatouages allant de pair marquent bien la seule extravagance.
Aux étages supérieurs auxquels mènent toujours l’escalier d’origine, dont la cage s’agrémente aujourd’hui d’une savante installation de lampes de mineurs encordées, on a beau dénoter certaines fantaisies guère heureuses à l’image des habillages de portes de la vingtaine de chambres des uniques suite et dortoir que compte le Refuge, on retrouve une fois franchies celles-ci et passé l’exiguïté des couloirs un mix assez charmant bien que minimal et un peu forcé de moquettes traitées façon parquet, de rideaux en lainage chevronné, de baladeuses en guise de lampes de chevet, de vieilles malles faisant office de table de nuit autour de têtes de lits en feutrine lestées de courroies de cuir fauve, de cheminées transformées en bibliothèque, de penderies résumées à de simples patères, de poufs en tapisserie au point de croix faussement naïve, de lampes opalescentes rappelant celles des cuisines de nos grands-mères suspendues à un fil forcément rouge à l'instar des menus, des serviettes, ses volets ou du petit train circulant en contrebas.
Si l’on doit à la famille Sibuet des hôtels éponymes d’avoir transformé et « upgradé » le temps de deux saisons le Refuge, c’est le groupe Best Mont Blanc qui en assure désormais la continuité. Retoucheront ils les salles de bains vaguement rétro et sans charme, reviendront ils sur le génial dortoir à louer en groupe ou en familles, mettront ils sous clé les blocs de quartz blancs disséminés dans la maison, garderont ils la carte aussi courte que parfaite du restaurant où savourer sa demi-pension ? Ce dont nous sommes sûrs c’est que nous ne trouverons plus à cette table ouverte sur l’extérieur la fameuse boite de sardines des Fermes de Marie et son beurre travaillé. Mais ce dont nous sommes encore plus sûrs c’est que la vue de cette terrasse inondée du soleil de midi, elle, ne changera pas. La Mer de Glace a beau s’enfoncer chaque année un peu plus bas, elle restera avec sa célèbre grotte et les sentiers environnants sillonnant entre les Drus et les Grandes Jorasses le point d’observation comme d’exploration d’alpinistes, skieurs, randonneurs et touristes non seulement subjugués par la grandeur du paysage mais aussi par sa capacité à replacer le temps et la nature au cœur du débat, une expérience qu’il devrait être donnée à chacun de vivre au moins une fois et qui ne serait pas complète sans une nuit sur place.
Non seulement parce qu’il serait fort dommage de manquer le petit déjeuner du Montenvers jusque-là aussi simple que parfait dans sa mise et son choix avec son granola maison, son fromage blanc de ferme, sa tranche épaisse de jambon de pays, son fromage à la croute généreuse et sa brioche aux pralines roses mais aussi parce que bien qu'il ne soit peut-être pas "le premier de cordée", à travers ses fenêtres grandes ouvertes sur le paysage, c’est quand même l’âme toute entière qui s’invite au voyage été comme hiver.
Mots & images : Patrick Locqueneux
À partir de 190€ en Chambre Refuge ou 79€ en dortoir
Demi-pension incluse