Back from... Sextantio Le Grotte Della Civita
L'Italie à son meilleur !
Qui pour ne pas se lasser encore des hôtels qui n’évoquent rien d’autre que leur affiliation à une chaine ou qui rameutent tant ailleurs qu’ils en oublient le lieu où ils s’établissent ? Heureusement, Sextantio le Grotte della Civita n’appartient à aucun de ceux-là et in fine n’a que peu à voir avec un hôtel. S’il pourrait en avoir la couleur il n’en a absolument pas le gout. De même, bien que quelques kilomètres l’en sépare, il n’offre pas aux Pouilles une énième adresse de choix mais s’impose comme le fleuron de cette région méconnue ayant pour nom Basilicate et chef-lieu Matera. Des différentes formules d’hébergement ayant cours de par le monde, il donne également ses lettres de noblesse à celle plus confidentielle réfugiée sous le vocable d’Albergo Diffuso. Albergo Sextantio le Grotte della Civita se veut résolument à part. Il appartient à ces auberges diffuses, comme leur nom l’indique, ayant pour particularité d’habiter des lieux isolés les uns des autres pour former une sorte de hameau ou de village à part entière avec la caractéristique supplémentaire de se situer dans des bâtiments anciens à caractère historique et patrimonial.
À Matera, ce sont donc les Sassi, ces habitations troglodytes parmi les plus anciennes au monde et classées au Patrimoine Mondial de l’Unesco, qui lui servent de cadre aussi unique qu’improbable, a priori. Son dernier habitant, qui fut contraint de quitter les lieux en 1952 pour insalubrité, n’imaginait certainement pas que la cité renaitrait sous un jour aussi favorable et qu’elle viendrait à abriter si belle entreprise, entourée à une volée de marches de quelques 150 églises rupestres et byzantines qui feront la gloire de celle qui représentera l’Italie en tant que capitale européenne de la culture en 2019. Qui, en effet, aurait pu parier sur pareil sursaut pour cette ville ancienne aux allures de crèche en papier mâché ? Grace à sa reconquête par des urbanistes de talents, rien de ce qui en fait le charme depuis des millénaires n’a cédé. Le temps semble s’y être arrêté pour de bon et sa déambulation labyrinthique aussi spectaculaire de jour que de nuit nous ramène toujours aux Temps des Évangiles, la faisant paraître comme le croisement d’une Jérusalem, d’une Bethléem et d’une Nazareth miraculeusement ressuscitées.
C'est donc dans ce cadre pour le moins hors normes, au cœur de la Civita, entre les cirques du Sasso Barisano et du Sasso Caveoso avec le complexe de la Madonna delle Virtù et San Nicola dei Greci en figure tutélaire, dans cet exemple remarquable d’utilisation de la ressource naturelle et de la topographie, dans cette cité écologique par excellence qu’une simple grille de fer forgé ornée d’un panneau d’émail rouge à son nom barre modestement l’accès aux touristes parfois trop entreprenants de l’Albergo Sextantio le Grotte della Civita. Passer celle-ci, traverser la cour de pierre sèche battue par le soleil jusqu’à la grotte faisant office de réception et dont un modeste panonceau de bois délavé par le temps marque l’entrée demande un effort, mais au bout quelle récompense ! Bien plus que l’ombre trouvée là, c’est le premier contact avec l’équipe polyglotte et enthousiaste qui marque du sceau de la singularité les premières minutes du séjour. À partir de cet instant, on sait qu’ici, rien ne sera comme ailleurs et que cette expérience sera extrême, foncièrement unique et forcément inoubliable.
Dans les 18 caves de cet Albergo Diffuso transformées en autant de chambres et suites, toutes idéales et aux proportions dépassant les 150m2 pour les plus grandes d’entre-elles, on y distille un art de vivre oublié, empreint d’authenticité et de respect où la simplicité d’une eau fraiche en pot de grès couvert d’un linge se dispute l’évidence de fruits en compotiers et de noix à casser. Les bougies à foison, les fioles d’onguents et toutes les amenities sélectionnées avec soin s’y accordent à la parfaite rusticité des chaises, commodes, tables et lits disposés avec une idéale et bienvenue parcimonie. Si à l’aridité extérieure, répond parfois la luxuriance d’un décor « affresco » dans nombre de chapelles de la cité, ici l’abandon volontaire du mobilier se veut à l’unisson de l’âme en contemplation.
À l’Albergo Sextantio le Grotte della Civita, on touche et on émeut avec justesse. Tous les sens ou presque y sont mis à contribution. L’ouïe s’inquiète de chaque craquement venant fendre le silence au dehors, dans cette nuit d’encre où les étoiles ont le ciel pour elles seules. Le toucher frémit au contact de ces pierres polies par les ans, chauffées par le soleil en extérieur, délicieusement fraiches comme une caresse à l’intérieur. La vue défaille devant l’immensité du paysage face au plateau des Murges et à la ravine creusée par la Gravina en contrebas. L’odorat serait peut-être le seul parent pauvre de cette affaire quoique si la glace au tiramisu servie au petit-déjeuner dans son pot de gré ceint d’une corolle de glace et enrubannée d’une gaze de lin pouvait embaumer, lui aussi viendrait à s’affoler. Heureusement le goût, lui, s’en rappellera longtemps encore, comme il se souviendra de ces massages dispensés dans l’intimité de la chambre à la lueur des bougies allumées comme chaque soir par dizaines. Du matin au soir, aucun moment n’échappe à la magie du souvenir.
Dès potron-minet, on jubile devant un petit déjeuner typiquement italien, à la fois biologique et locavore, servi au cœur d’une chapelle-grotte du 13ème siècle sans autre artifice qu’une musique classique en sourdine et des nappes blanches tendues sur les tables comme autant d’autels déconsacrés. Même enchantement quand l’astre décline sur la ravine et que l’aperitivo est servi en terrasse. Dommage que l’on ne puisse garder ce cadre pour soi plus longtemps, à l’heure du déjeuner sous la treille quand la chaleur se fait écrasante dehors ou au-delà de l’heure bleue quand le vent souffle une brise légère. À l’exception d’un diner concocté par un chef dans l’exclusivité de la chapelle, il faut hélas, pour l’heure, s’en remettre à la ville pour se restaurer. Mais qui pour s’en plaindre quand une escapade aussi romantique qu’historique à savourer aussi bien à pied qu’en triporteur (le must) attend au bout du chemin ? L’aventure Sextantio de Daniele Khilgren, son génial fondateur, n’en est encore qu’à ses débuts, puisqu’avec l’Albergo Diffuso de Santo Stefano di Sessanio dans les Abruzzes, ils ne sont pour l’instant que deux hameaux à avoir fait l’objet d’une restauration sur les neuf déjà acquis et sauvés de cet abandon partiel ou total concernant près de 17.000 villages en Italie.Si Matera s’impose à plus d’un titre comme une étape obligée sur la route menant au Sud, l’Albergo Sextantio le Grotte della Civita s’impose d’autant plus, non pas pour y tremper ses pinceaux comme l’aurait fait n’importe quel maitre du clair-obscur et de l’intimité, de Vermeer à De La Tour en passant par Le Caravage, mais pour y graver dans sa mémoire le souvenir inaltérable d’avoir, à sa manière, participé à l’histoire dans ce qu’elle a de meilleur.
Mots : Patrick Locqueneux
Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier
À partir de 350€/nuit • petit déjeuner