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L’hommage du vice à la vertu !


"Sede quaeso », c’est par cette injonction latine gravée dans le bois d’un banc tout droit sorti d’une église qu’est accueilli le visiteur de l’étrange et fascinant Sinner, tout juste ouvert au cœur du Marais dans la bien-nommée rue du Temple. Serions-nous donc tous des pêcheurs aux yeux d’Evok, l’entreprenante collection d’hôtels du moment et autrice de ce dernier-né ? Elle n’est pas la seule à la penser. De l’apparition de la morale judéo-chrétienne à notre société contemporaine, tout semble vouloir tendre vers ce point de culpabilité. Schizophrènes à nos heures, ne poursuivons-nous pas des buts en apparence contraires ? La recherche de l’exclusivité et le retour à la simplicité, la quête de la gourmandise et le culte de la minceur, le désir ailleurs et l‘attrait pour le local, l’envie du corps et l’aspiration à l’ascèse ne sont que des exemples parmi d’autres. Entre le kale et le wagyu il faudrait donc choisir sous peine de devoir plaider coupable.

Au Sinner, il n’est pas plus question de moralisation que de discours sentencieux, bien au contraire. Le désir de l’interdit n’est pas mort, il est plutôt au bout du couloir ou au détour d’une porte. Si nous avons des choses à nous faire pardonner, nous en avons bien d’autres encore à explorer. Les pécheurs de tout bord sont donc les bienvenus ici. Ce lieu leur est spécialement dédié. À l’image de la cuisine de partage d’Adam Benthala et de la pâtisserie inspirée de Yann Brys déjà repérés au Brach, l’hôtel se veut ouvert à toutes les expériences jusqu’aux plus impertinentes tant qu’elles restent élégantes. Derrière les vitraux extérieurs de cette cathédrale blanche et austère que l’on croirait sortie d’un carnet secret du Corbusier se cache un univers ecclésiastique et éclectique, à la limite du fantastique. À l’exception d’une enseigne gravée en lettres d’or à même son mur de bronze, seul un singulier et discret trait rouge, fin comme une lame, en annonce la couleur. À la fois cardinal et aristocrate, révolutionnaire et sanguin, ce rouge vif se décline à l’intérieur dans toutes ses nuances, des murs laqués aux semelles de pantoufles de velours noir pour laisser une trace indélébile en forme de coup de cœur.

« Ce Sinner, aussi liturgique que satanique, est au-delà d’un hommage du vice à la vertu, une réussite hôtelière à part entière »

Ne nous y trompons pas, ce Sinner, aussi liturgique que satanique, est au-delà d’un hommage du vice à la vertu, une réussite hôtelière à part entière. Passons donc sur cette noble dévote mâchant crânement son bubble-gum, ces flèches plantées dans le billot ou ces cordages tenus prêts pour de savants bondages donnant le ton dès l’entrée franchie et amusons-nous de cette réception aux allures d’autel, de ce confessionnal transformé en business center égotique, de cette fausse-crypte aux incunables érotiques, de ces pipes enchainées aux portes d’ascenseurs interlopes ou de ce siège aussi combatif que phallique, sans parler de cet épais brouillard hésitant entre volutes d’encens et fumigènes disco annonçant dès la fin du jour de nouvelles réjouissances à la lumière des cierges et au son du dj live.

« Sinner fait mouche, sublimant cette idée même de la nuit à laquelle les années 70 et 80 ont sans doute rendu le plus bel hommage »

Si pénétrer les lieux est une expérience en soi, gagner sa chambre, forcément accompagné de son passeur, en est une autre. Point de Styx pour autant à traverser mais d’infinis couloirs sombres percés de faux vitraux aux scènes licencieuses pour celui qui sait y voir et que ce Charon des temps modernes vêtu de noir éclaire à la veilleuse avant de frapper au heurtoir de portes de chambres vermillon. Dans l’air flotte un indéniable sentiment d’interdit et plus prosaïquement un obsédant parfum d’encens mêlé de patchouli que l’on retrouve à l’intérieur comme la bande son impeccable et décalée de Radio Sinner préfigurant le tempo de nuits pour le moins délicieuses. Contrairement à tant d’autres concepts aussi nuls que non avenus dans le monde de l’hôtellerie qu’il me peinerait d’inventorier ici, Sinner fait mouche, sublimant cette idée même de la nuit à laquelle les années 70 et 80 ont sans doute rendu le plus bel hommage. Si l’unique suite de l’hôtel aux allures de garçonnière inspirée de l’appartement de Jean-Paul Gaultier dans ces années-là se veut un manifeste aussi sombre que sulfureux de l’époque avec lit rond aux armatures de métal, dressing clouté, salle de bains à l’ancienne aux allures cryptiques et lounge pour orgies romaines, l’ensemble des 43 chambres répond à une esthétique un peu plus mesurée mais pas moins convenue.

« Sinner (...) met à mal cette idée (...) qu’une chambre d’hôtel n’est rien d’autre qu’un lieu de passage ou de repos éphémère »

Egalement signées par Tristan Auer, capable de passer des Bains au Crillon avec la même acuité, ces dernières nous renvoient à un univers vaguement connu et nous placent en même temps dans un répertoire stylistique encore inexploré où confort et élégance ont pour autant droit de cité. Si on y retrouve quelques-unes de ses obsessions comme le travail de la laque, du bois ou du drapé, on découvre surtout une habileté rare à marier les genres, les époques et les idées, du canapé psychédélique furieusement seventies au modeste bureau de campagne en passant par d’augustes antiques entourant des lits aux draps virginaux ô combien superlatifs. Outrageusement surlignés de ce fil rouge que l’on retrouve aussi bien au recto des menus qu’au dos des uniformes aux allures de robe de bure portés sans distinction de genre par un personnel dont il faudra souligner l’extrême bienveillance, ces linceuls craquants et voluptueux qu’on voudrait n’avoir jamais à quitter, une fois le matin venu et le soleil dardant à travers les stores, sont peut-être, au même titre que ses arches déclinées à l'infini, la signature de ce fascinant Sinner. Quand on prend plaisir à délaisser son lit pour s’allonger par terre et feuilleter l’un des innombrables ouvrages photographiques collectés par le libraire Anatole Desachy en une sélection érudite et variée pleine d’à-propos, que l’on passe du temps au petit coin, dans ce cabinet de lecture très privé et si parisien chargé de romans et d’essais en nombre volontairement inépuisable, on met non seulement à mal cette idée qu’il ne faudrait pas lire à table, aux WC ou en faisant l'amour et que l’intellect ne devrait pas se mêler des actes primaires - Lord Chesterfield l’avait d’ailleurs bien compris quand il osait dire à son fils dans ses fameuses Lettres que lire aux toilettes « vaut mieux que de se contenter de ce dont on ne peut absolument se dispenser pendant ces moments-là. » - mais aussi l’idée qu’une chambre d’hôtel n’est rien d’autre qu’un lieu de passage ou de repos éphémère.

« Ces chambres précieuses (...) donnent curieusement à toutes les autres chambres connues en ville un très sérieux coup de vieux. »

À l’évidence, on voudrait faire siennes les chambres du Sinner, même les plus classiques d’entre-elles au nombre de deux avec leurs merveilleux lits à moitié clos sur lesquels on peut veiller comme au confessionnal de salles de bains laquées dans lesquelles trônent entre les différents produits d’accueil à base de chanvre et de patchouli, un engageant tube de gel intime. Ce n’est là qu’une des mille surprises des lieux à l’instar de minibars conçus comme de micro concept stores alternant entre autres snacks carnivores, chaussettes et poppers ou de dressings aussi bien fournis en chausse pied qu’en cravache. Mais ces chambres précieuses ne sauraient se résumer à ces seuls gadgets. Toutes équipées de platines assorties d’une impressionnante collection de vinyles sélectionnés par Fred Viktor et d’une collection foisonnante d’œuvres d’art choisies par Amélie du Chalard et ses maisons d’art très particulières, dont on retiendra tout particulièrement les aquarelles aux couleurs enjouées de Vincent Lemaitre, elles donnent curieusement à toutes les autres chambres connues en ville un très sérieux coup de vieux.

« Evok va, avec cet incandescent Sinner, définitivement faire parler de lui et prouver qu’antique et moderne font aussi bon ménage que luxure et ferveur. »

À l’image de l’armure allusive d’un écorché signée Nadine Altmayer trônant dans l’âtre d’une des cheminées, Evok vient de se doter avec ce Sinner d’un fer de lance à l’indiscutable séduction qui va bien au-delà de cet espace de détente privatisable baptisé Abluvio, clin d’œil appuyé aux Bains voisins, ou ce confidentiel bar à cocktails aux appellations latines mais aux saveurs contemporaines. Dans la foulée du, pour l’heure, formidable restaurant aux allures de cathédrale qui fait déjà le plein, pas sûr que ce jardin de curé, qui en longe la travée centrale, avec son unique banc de pierre que l’on gagne par un marchepied aux faux airs de suppedaneum et sur lequel on rejouerait volontiers « Minuit dans le jardin du bien et du mal » reste secret très longtemps. Après l’opulent Nolinski et le joyeux Brach et avant la très exclusive Cour des Vosges, le petit groupe mené tambour battant par Emmanuel Sauvage et Madeleine Sadin va, avec cet incandescent Sinner, définitivement faire parler de lui et prouver qu’antique et moderne font aussi bon ménage que luxure et ferveur.

Mots : Patrick Locqueneux

Images : Patrick Locqueneux | Olivier Chevalier

experience
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À partir de 430€/nuit

surclassement selon disponibilité • early check-in & late check-out selon disponibilité • 100$ credit • petit déjeuner • accueil personnalisé

 
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